mercredi 26 décembre 2007

L' e-mail @ arobase.org

source : arobase.org


Le saviez-vous ?

Puce 3,2 milliards de dollars : c'est, selon le cabinet Gartner, la somme que les Américains ont perdue en 2007 en se laissant abuser par le phishing, cette technique qui consiste à se faire passer pour votre banque ou un site marchand afin de vous extorquer vos identifiants ou informations personnelles. Cette année, près de 3,6 millions d'internautes (contre 2,3 millions en 2006) ont fait l'objet d'attaques de la sorte. Et 56 % d'entre eux seraient encore mal protégés contre ce fléau. Et vous ?
Sur Arobase.org : le phishing

Puce Après Ipswitch (voir notre lettre d'octobre), Barracuda Networks confirme que 90 à 95% des courriers électroniques envoyés seraient liés au spam. Bienheureusement, tous n'arrivent pas dans nos boîtes...
Sur Arobase.org : le spam

Puce La lutte contre l'arnaque nigériane se poursuit : 3 Camerounais viennent d'être condamnés à de la prison ferme par le tribunal correctionnel de Strasbourg pour avoir extorqué plus de 51 000 euros à leurs victimes. Le procédé était classique : une soi-disante richissime veuve promet une partie de sa fortune à qui l'aidera à transférer son argent en France. L'internaute crédule est invité à avancer les frais de notaire et à acheter des produits très coûteux pour blanchir des (faux) billets prétendument noircis pour des raisons de sécurité (technique dite du wash wash). Plus c'est gros, plus ça passe...
Plus d'infos : 01net. - Sur Arobase.org : l'arnaque nigériane



L'e-mail du mois

Google a 10 ans Google a 10 ans
Oyez, chers internautes : la société américaine à l'origine du célèbre moteur de recherche vous offre 45 euros de bons d'achat en matériel informatique si vous faites suivre à 10 de vos contacts le courriel annonçant l'anniversaire !

Il s'agit naturellement d'un mauvais canular ! Brisez donc la chaîne et ne diffusez surtout pas ce courriel !


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lundi 24 décembre 2007

Dégats des eaux : un rappel très utile d'Assuralia

Assuralia nous donne d'excellents conseils, n'hésitez pas à cliquer sur les images ci-dessous ou sur le lien en début de phrase.



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dimanche 23 décembre 2007

Raccourci sur la CCT 90 du 20 décembre 2007 particulièrement indigeste

Le Soir résume très fortement une des décisions qui ont été prises le 20 décembre 1997 au Conseil National du Travail dont voici la communication :

Le Conseil, a, au cours de sa séance plénière du 20 décembre 2007, approuvé une série de textes en vue de mettre à exécution certains volets de l'accord interprofessionnel couvrant la période 2007-2008.

1. Le Conseil a, tout d'abord, adopté une convention collective de travail n°90 concernant les avantages non récurrents liés aux résultats. Celle-ci vise, à partir du 1er janvier 2008, à dresser un cadre dans lequel les entreprises, les secteurs et sous-secteurs peuvent instaurer des avantages non récurrents liés aux résultats et ce, tout en tenant compte des spécificités des petites et moyennes entreprises. Cette convention collective de travail est complétée par un avis n°1.625 rendu conjointement avec le Conseil central de l'Economie.

Le Conseil a, également dans ce cadre, adopté la convention collective de travail n°43 decies, modifiant la convention collective de travail n°43 du 2mai 1988 relative à la garantie d'un revenu minimum mensuel moyen afin de préciser qu'à défaut de convention collective de travail conclue au niveau sectoriel, les avantages non-récurrents liés aux résultats ne font pas partie des éléments qui doivent être pris en considération pour déterminer le revenu minimum mensuel moyen.

2. Le Conseil a ensuite adopté, une convention collective de travail n°91. Celle-ci fixe les conditions dans lesquelles peut être accordé un droit à l'indemnité complémentaire en cas de licenciement, pour les travailleurs âgés de 58 ans et plus et totalisant une carrière de 35 ans à condition qu'il s'agisse de travailleurs qui, soit peuvent entrer dans la catégorie de travailleurs moins valides, soit, au terme d'une procédure spécifique, peuvent entrer dans la catégorie de travailleurs ayant des problèmes physiques graves entravant significativement la poursuite de l'exercice de leur métier soit peuvent être assimilés à cette dernière catégorie du fait qu'ils ont été exposés directement à l'amiante durant leur activité professionnelle.

En concomitance à cette convention collective de travail, le Conseil a émis l'avis n°1.626 qui explicite les procédures à mettre en place au sein du Fonds des accidents du travail et impliquant le Fonds des maladies professionnelles ainsi que l'Office national de l'Emploi, pour permettre aux travailleurs susvisés de se voir reconnaître un droit à l'indemnité complémentaire de prépension selon les conditions fixées par cette convention collective de travail.

3. Au cours de la même séance, le Conseil a également adopté la convention collective de travail n°92 instituant un régime d'indemnité complémentaire pour certains travailleurs âgés, en cas de licenciement, en exécution de l'accord interprofessionnel du 2 février 2007. Un droit à l'indemnité complémentaire est, ainsi, accordé, à partir du 1er janvier 2008, moyennant certaines conditions, aux travailleurs âgés de 56 ans et totalisant une carrière de 40 années effectivement prestées.

A côté de cette convention collective de travail, le Conseil a émis, l'avis n°1.627 pour déterminer les périodes assimilées à prendre en compte dans le régime de prépension applicable aux carrières longues. Cet avis complète l'avis n°1.601 que le Conseil a émis le 30 mars 2007 dans le cadre de la prépension conventionnelle.

4. Dans le cadre de la prépension conventionnelle, le Conseil a encore adopté la convention collective de travail n°93 instaurant et déterminant, pour la période 2007 et 2008, la procédure de mise en œuvre et les conditions d'octroi d'un régime d'indemnisation complémentaire au bénéfice de certains travailleurs âgés licenciés, occupés dans une branche d'activité qui ne relève pas d'une commission paritaire instituée ou lorsque la commission paritaire instituée ne fonctionne pas.

5. Enfin, le Conseil a conclu deux conventions collectives de travail, à savoir les conventions collectives de travail n°s 17 tricies bis et 46 duodevicies.

Ces deux nouvelles conventions ont pour but d'adapter, au 1er janvier 2008, en tenant compte de l'évolution des salaires conventionnels, d'une part, le montant du plafond à prendre en considération pour le calcul des indemnités complémentaires ainsi que le montant des indemnités complémentaires dues aux prépensionnés et, d'autre part, le montant des indemnités complémentaires dues aux travailleurs de nuit.

Le coefficient d'adaptation a été fixé à 1,002.

Les textes de ces conventions et avis seront consultables sur le site internet du Conseil national du Travail (www.cnt-nar.be) dès le 21 décembre.






D’un côté, un monde patronal souhaitant rémunérer les salariés à la performance. De l’autre, le monde syndical, soucieux de défendre l’égalité entre les travailleurs. Après des années de discussions, les deux parties sont arrivées à un compromis, qui va généraliser, dès le 1er janvier prochain, le système de bonus au sein des entreprises. Patrons et syndicats ont signé ce jeudi une convention collective au sein du Conseil national du travail.

Dès l’an prochain, tous les salariés du secteur privé pourront recevoir, en plus de leur salaire fixe, un montant variable, qui ne pourra excéder 2.200 euros brut par an. Cette limite a été fixée pour maintenir la stabilité salariale, défendue par les syndicats.

Pas de bonus individuel

Pour assurer le succès de cette nouvelle technique, le gouvernement a accordé un avantage fiscal. Dans le chef du travailleur, le bonus sera totalement exonéré. L’employeur devra quant à lui acquitter un prélèvement de 33 %, totalement déductible de l’impôt des sociétés.

Comment décrocher le bonus ? En réalisant les objectifs fixés par la direction de l’entreprise. Mais attention : ces objectifs ne peuvent en aucun cas être individuels. Pas question, donc, d’octroyer un bonus découlant de la nouvelle réglementation à un vendeur qui aurait dépassé les objectifs que son supérieur lui aurait personnellement fixés. En aucun cas, le salaire variable ne peut dépendre de l’évaluation de fin d’année.

Le bonus individuel n’est pas interdit pour autant, mais l’entreprise qui l’accorde ne jouit pas, dans ce cas, de l’avantage fiscal.

Selon les termes de la nouvelle réglementation, seule la réalisation d’objectifs communs est donc acceptée. Exemple ? Le dépassement d’un chiffre d’affaires pour une unité de production, ou la réalisation d’un bénéfice pour une entreprise. Mais il ne doit pas nécessairement s’agir d’objectifs financiers. Ainsi, une baisse du nombre d’accidents de travail peut donner lieu à un bonus, ou encore la hausse du nombre de recrutements pour un service de ressources humaines. Seule limite : selon la convention collective, les critères doivent être « objectivement mesurables », afin d’éviter que les bonus soient distribués à la tête du client.

Pour que le bonus devienne réalité au sein d’une entreprise, le patron doit en prendre l’initiative. Une convention collective doit ensuite être signée au sein de cette société. Pour les entreprises de petite taille, le mécanisme de bonus est annexé au règlement de travail.

La Fédération des entreprises de Belgique s’est réjouie jeudi de l’instauration de ce système. « Il est désormais possible de rémunérer les travailleurs en dehors du carcan actuel, qui est bien trop rigide », a indiqué la Fédération patronale. Les syndicats ne font pas des bonds de joie. La CSC a indiqué dans un communiqué qu’elle n’avait pas accepté cette mesure « de gaieté de cœur », mais qu’elle avait négocié des garde- fous. ■

BERNARD DEMONTY @ Le Soir

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Sombres perspectives ... Mais, c'était il y a dix ans.

Fernand Bézy

LA BELGIQUE EN VOIE DE SOUS-DEVELOPPEMENT

Conférence à l'Université des Aînés

Louvain-la-Neuve le 18 mars 1997

On ramène souvent le sous-développement à la pauvreté. Elle n'en est pourtant pas l'aspect principal. D'autant qu'elle est relative : un pays au revenu moyen de 2.000 $, aujourd'hui tenu pour "sous-développé", n'aurait pas fait mauvaise figure dans le concert des nations avant la dernière guerre mondiale. Un pays devient sous-développé quand il accumule des retards dans le rythme de son développement.

Par exemple, depuis 1960, la Corée du Sud a enregistré un taux de croissance annuel moyen de près de 8%, ce qui signifie que son produit national a été multiplié par douze. En Belgique, quand tout va bien, on fait benoîtement du 2 % par an : à ce rythme, il faudrait 35 ans pour faire doubler le produit national. La Corée est devenue un pays industriel à part entière. Elle vient même d'être admise comme 29e membre de l'OCDE, le club des pays développés. La Belgique prend du retard dans le jeu de saute-mouton auquel se livrent les pays industriels.

Mais le principal, le pire aspect du sous-développement est la dépendance, c'est-à-dire l'aliénation dans les mécanismes de décision qui gouvernent le fonctionnement d'une économie nationale. C'est à cet égard surtout que la Belgique est en voie de sous-développement. Le sujet est vaste : je ne pourrai que tracer ici quelques pistes de réflexion, appuyées par les exemples les plus extrêmes, donc les plus significatifs.

Au cours d'une conférence à Louvain-la-Neuve il y a quatre ou cinq ans, Mark Eyskens disait : "Après 1946, la Belgique a basculé vers ses côtes et toute l'industrie a glissé comme le long d'une pente". Du seul point de vue géographique, l'avantage (hélas temporaire) de la Wallonie avait été la proximité du fer et du charbon; pour la Flandre, aujourd'hui, la proximité de la mer.

La première révolution industrielle

La première grande vague de progrès techniques, constituant la "révolution industrielle", a duré un siècle et demi : en gros, de 1730 à 1880. Les grandes inventions de cette époque étaient l'acier, la machine à vapeur, les chemins de fer, les bateaux en fer et à vapeur, les premières machines-outils (notamment dans le textile).

Les matières premières de cette première vague d'industrialisation étaient l'eau, le charbon et le fer : d'où le développement du sillon Sambre-et-Meuse, particulièrement. Pendant cette période et jusqu'à la guerre de 14-18, la Belgique a figuré dans le peloton de tête des pays industriels. Déjà en 1910 elle était devenue la troisième puissance commerciale du monde, avec ses exportations de rails, de wagons, de locomotives, de tramways; mais surtout par l'intervention audacieuse d'hommes d'affaires et d'ingénieurs : Cockerill (machines à vapeur), Coppée (charbonnages et fours à coke) Nagelmaeckers (les wagons-lits), Solvay (le carbonate de soude), Empain (les ACEC en 1904, les centrales électriques en Russie, au Brésil, en Egypte et en Chine, les chemins de fer vicinaux, le métro de Paris en 1900, Héliopolis), Jadot et Francqui construisaient les chemins de fer en Chine : en quatre ans, la ligne Pékin-Tangsé, longue de 1.214 km, avec un pont de 3.200 m sur le fleuve Jaune, Frankignoul inventait le pieu Franki en 1910, etc.

Les grandes inventions de la fin du XIXème siècle étaient de nature à affranchir le développement des sites antérieurs : l'électricité (Gramme invente la dynamo en 1871) et le moteur à explosion : les premières voitures automobiles, inventées par Daimler et Benz, circulaient à la fin des années 1880. Mais jusqu'à la seconde guerre mondiale, les premiers sites industriels sont restés ancrés en Wallonie et la Flandre demeurait principalement agricole.

Aujourd'hui, les mines de charbon et de fer sont épuisées et les nouvelles sidérurgies sont toutes maritimes : Sidmar en Belgique (à Zelzate, sur le canal Gand-Terneuzen), Ymuiden aux Pays-Bas, Palerme en Italie, Dunkerque en France, Fukuyama au Japon, etc. Un minéralier moderne peut transporter à bon marché en une cargaison 500.000 tonnes de minerai africain (Guinée) titrant 75 à 80 % de fer. Le minerai belge titrait du 30%.

Jusqu'il y a peu, la production industrielle belge (et nos exportations) étaient constituées jusqu'aux deux tiers par des demi produits, c'est-à-dire des produits de la première révolution industrielle, à faible valeur ajoutée : notamment l'acier, le verre, le ciment, la soude caustique, les engrais, etc. Pour 40% de nos exportations, nous sommes tout juste un degré au-dessus des pays du tiers monde qui exportent du coton ou du caoutchouc. Bref nous sommes restés longtemps et nous sommes encore en partie en retard d'une révolution industrielle.

Notre politique économique depuis la fin de la guerre

La grande malchance de la grosse industrie belge est d'avoir été épargnée par les bombardements alliés pendant la guerre. L'Allemagne et le Japon, où l'industrie a été rasée, ont pu recommencer à zéro et faire du neuf. En Belgique jusqu'à présent, on a fait du rafistolage, puis de l'euthanasie, sous la houlette du médecin palliatif Jean Gandois, le spécialiste des entreprises en phase terminale.

Dès la fin des "trente glorieuses", il était pourtant clair pour tout observateur averti que la sidérurgie, dans les sites traditionnels, était irrémédiablement condamnée à mort. En 1970 déjà, l'ouvrier sidérurgiste japonais produisait cinq fois plus que celui de Cockerill, et le Japon ne possède ni charbon ni fer (c'est peut-être sa chance). Mais la production d'acier n'a cessé d'augmenter en Belgique jusqu'à un maximum de 12 millions de tonnes en 1981, qui s'est encore presque maintenu pendant toute cette décennie. A ce moment-là, la France avait déjà supprimé 46.000 emplois en sidérurgie.

Que dirait-on d'un dentiste qui, pour extraire une dent, ferait revenir le patient à plusieurs reprises, en le travaillant par à-coups ? C'est ce qu'a fait la Belgique avec tous les canards boiteux de son industrie. On a fusionné des entreprises distantes, et même très distantes : en 1955, Cockerill fusionne avec Ougrée Marihaye; en 1970, Cockerill-Ougrée fusionne avec Espérance-Longdoz; en 1980, Hainaut Sambre naît de la fusion de Thy-Marcinelle et Providence. En 1981, Cockerill et Hainaut Sambre fusionnent pour devenir le grand Cockerill-Sambre. Je crois savoir qu'à l'intérieur de ce vaste complexe, les vois ferrées ont la même longueur que la ligne Ostende-Arlon. Enfin, en 1984, l'énorme mastodonte entreprend une vaste restructuration intitulée Plan Gandois. Et pour ce faire, le secteur public a investi d'énormes capitaux : les prévisions étaient de 200 milliards; les réalisations, les connaîtra-t-on jamais ?

D'après une étude du Bulletin de la Kredietbank, au cours de la période 1975-1985, la politique industrielle a dérapé. La récession qui a suivi le premier choc pétrolier (1973) a été le point de départ d'une hausse ininterrompue et prononcée des aides publiques aux entreprises. Les chiffres sont assez parlants : les aides aux secteurs nationaux (charbon, acier, construction navale, verre creux et textile) sont passés de 148 milliards de fr. entre 1975 et 1980 à 264 milliards durant la période 81-85. Voilà l'origine de l'expansion himalayenne de notre dette publique, beaucoup plus que le déficit de la sécurité sociale, comme on le dit trop souvent.

En 1975, notre dette publique représentait un niveau raisonnable de 60% du PNB; aujourd'hui, près de 130%. Chaque année, l'Etat belge doit consacrer plus de 40% de ses moyens financiers au remboursement de ses emprunts, soit près de 700 milliards de francs. On peut imaginer tout ce que l'Etat pourrait faire s'il ne s'était pas créé ce fardeau, à condition qu'il investisse utile. Dans le journal Standard du 25.09.96, Eric Van Rompuy fustigeait la politique menée en Wallonie en matière d'aide aux entreprises, estimant que le gouvernement Collignon ne soutient que les secteurs traditionnels tandis que le "Nord triomphant", comme il l'appelle, ne soutient que les secteurs d'avenir. Il signalait encore que seuls 15% des impôts sur les sociétés proviennent de Wallonie, quand la Flandre en fournit 55%. Quelle décadence !

Qui est responsable ? C'est ici que je vais me faire, parmi vous, un certain nombre d'ennemis. Au risque de paraître excessif, j'ai la conviction qu'une telle politique, pratiquée depuis un quart de siècle, n'a pu résulter que de la collusion tacite d'un grand patronat timoré et des syndicats, avec la bénédiction de politiciens opportunistes. Les patrons et les hauts cadres restent toujours payés - et très bien payés - dans les entreprises déficitaires (rappelez-vous les révélations de la presse à l'occasion de l'éjection de M. Godefroid à la Sabena).

Très longtemps, les conseils d'administration de nos grandes sociétés anonymes ont eu une moyenne d'âge supérieure à 70 ans. Notre économie était gouvernée par une gérontocratie : que peut-on attendre d'une industrie dirigée par des vieillards ? Et faut-il s'étonner que les postes les plus importants du portefeuille de la Générale étaient les banques et les assurances ? Quand on est vieux, on se prémunit contre les risques et on essaie de jouir de son épargne : on n'investit plus, on ne risque plus.

Ecoutez cette histoire. C'était en 1972. On fêtait le 150ème anniversaire de la Société Générale de Belgique (fondée en 1822), à laquelle La Libre Belgique réservait en grande pompe sa page de garde. Et le journaliste de service interviewait Max Nokin, gouverneur de la Générale, et René Lamy, son futur successeur. Question du journaliste : "On reproche souvent à la Générale d'être restée cantonnée dans les secteurs de base et de ne pas avoir suffisamment évolué vers les secteurs de pointe."

Max Nokin : "J'aime beaucoup cette question. Mais je me demande vraiment pourquoi on s'acharne à dire que la Générale se contente des secteurs de base, qu'elle se borne à extraire du charbon, fabriquer des ronds à béton et vendre du ciment. J'ai un jour demandé à des amis américains comment ils traduisaient le mot "secteur de pointe". Eh bien, ce mot n'existe pas dans la langue américaine. Le seul mot qui existe est celui d'advanced technology.

"Et la technologie de pointe peut s'appliquer à tous les secteurs, même aux secteurs de base. Nous tentons de développer au maximum nos "points forts", ceux pour lesquels nous avons acquis des avantages historiques ou géographiques. Et nous y développons des technologies de pointe.

"Prenons la cimenterie, par exemple. Apparemment, c'est une industrie peu noble. Mais j'aimerais que vous visitiez une cimenterie ultramoderne, une cimenterie dans laquelle il n'y a presque plus de personnel, dans laquelle tout se fait automatiquement, y compris la résolution, chaque quart d'heure, de quatre équations à quatre inconnues.

Et voici la fin (in cauda venenum...) :

"Il ne faut pas oublier non plus que les industries que l'on appelle "de pointe" sont les plus fragiles. Nous continuerons toujours à consommer du ciment. Mais nous ne sommes pas sûrs que demain, nous consommerons encore de tel ou tel produit actuellement en vedette. L'évolution foudroyante des techniques rend les industries de pointe très vulnérables et nous n'avons pas le droit de centrer la plus grande partie de nos activités sur des secteurs fragiles." (La Libre Belgique, 89, no 300, 26 oct. 1972, p.10.)

Commentaire : certes nous faisons beaucoup de ciment, dit Max Nokin, mais c'est du ciment informatique à quatre inconnues. Hélas c'est toujours du ciment, à ne savoir qu'en faire lorsque le marché mondial en dégorge. Idem pour les ronds à béton. Et que fait-on de tout cela ? On le loge dans les autoroutes. C'est la raison pour laquelle les autoroutes belges en béton sont réputées les plus bruyantes d'Europe et les plus fatales aux pneumatiques.

Ensuite, on peut admirer le courage et le goût du risque : "on consommera toujours du ciment, mais utilisera-t-on toujours des ordinateurs?". Où sont donc les Cockerill, les Empain, les Coppée, les Jadot, les Solvay d'antan ?

Encore aujourd'hui, les seules entreprises florissantes en Belgique sont les banques, les assurances et peut-être les coiffeurs pour dames. Dans son dernier et récent rapport annuel, l'Union professionnelle des entreprises d'assurance se félicite de sa rentabilité et du développement de ses activités : entre 1990 et 1996, l'encaissement des primes d'assurances est passé de 4,8 à 5,8% du PIB. Donc près de 6% de notre produit national est consacré à payer des primes d'assurance.

A Héverlé, dans le parc du château d'Arenberg, figure un joli monument, offert à la faculté polytechnique de l'UCL. C'est, monté sur un socle en pierres de taille, un convertisseur (sorte de grosse bombarde). Le convertisseur est une cornue basculante dans laquelle on transforme la fonte en acier en oxydant le carbone par insufflation d'air comprimé.

Sur le monument, figure l'inscription suivante :

Gieteryconvector
Capacité : 2 tonnes
en usage aux usines Emile Henricot
Court-St-Étienne
de 1897 à 1973

Donc ce convertisseur a "tenu" 76 ans : jusqu'à la crise pétrolière de 1973. Question : où est la performance ? Un convertisseur moderne peut atteindre 300 à 400 tonnes par charge ! Offrir à une de nos universités un outil à ce point démodé quand il était encore en activité, quel admirable symbole de notre décadence industrielle ! Faut-il le dire, les entreprises Henricot ont fait faillite en 1985.

Les syndicats aussi portent une lourde responsabilité et ils sont très puissants : à défaut de statistiques plus récentes, je vous signale qu'en 1970 la main-d'oeuvre était syndiquée à raison de 23% en France, 33% en Italie, 40% aux Pays-Bas, 42% en Allemagne, 51% en Angleterre, 75% en Belgique (c'est un record mondial). Je n'ai rien contre les syndicats, au contraire, mais c'est à condition qu'ils ne deviennent pas un pouvoir d'Etat. Au début de la grande crise qui s'est déclenchée en 1973, leur grande peur était la perspective du chômage. Ils ne pouvaient ignorer qu'on n'y échapperait pas : mais, timorés à leur tour, ils préféraient donner du mou, temporiser. Dans la sidérurgie wallonne, les effectifs sont passés de 62.000 en 1960, à 54.000 en 70, 38.000 en 80, 19.000 en 90, 16.000 en 95; ils vont encore en perdre 5.000. A longue échéance, le résultat est donc le même, mais quel gaspillage de capitaux par les piqûres de survie à nos canards boiteux !

Cette politique du pire a été pratiquée pour la grande sidérurgie, les charbonnages; aujourd'hui on va peut-être prendre Clabecq et remettre cela; Gandois est toujours au poste, mais combien gagne-t-il donc ? Quand les charbonnages de Campine ont été fermés, le charbon américain rendu en Belgique coûtait deux fois moins cher que le charbon limbourgeois. Et pour reconvertir l'activité économique dans cette région, nos responsables n'ont rien trouvé de mieux qu'un vaste projet, dénommé par nos amis flamands le "smeerpyp" : un grand collecteur d'eaux industrielles usées, acheminées le long du canal Albert. On a déjà dépensé 5 milliards de francs, mais comme soeur Anne, on ne voit toujours rien venir. En attendant, certaines "huiles" du CVP (c'est le cas de le dire) sont enfoncés dans la "smeer" jusqu'au cou. Soit dit en passant, contrairement à nos autres canards boiteux, les charbonnages du Limbourg n'ont jamais été rentables. Dès leur ouverture en 1967, ils n'ont pu survivre qu'avec l'aide des subsides publics. Et le plan de leur fermeture s'est élevé à plus de 100 milliards de francs.

L'économie belge achetée par l'étranger

Quand à nos entreprises plus ou moins viables, on se les fait acheter les unes après les autres. Pour les pays développés, l'économiste américain Galbraith a montré que les cent plus grosses entreprises industrielles fournissent entre les deux tiers et les trois quarts de la production totale. Une étude financée par la Fondation Roi Baudouin a montré que parmi les cent plus grandes entreprises industrielles, 78 sont françaises en France, 75 sont hollandaises aux Pays-Bas; chez nous, 38 seulement sont belges. Les deux tiers de notre grande industrie nous échappent; et ce qu'il en reste, Cockerill et Cie, qui serait assez bête pour nous les racheter, je vous le demande ? La liste des achats est longue et triste, écoutez cette litanie :

Société Générale de Belgique --> groupe Suez (français) 1988
ACEC Charleroi-Union Minière --> Westinghouse
Brugeoise et Nivelles (trains-trams) --> canadien Bombardier
Fabelta --> AKZO, groupe chimique néerlandais
Glaceries de St Roch --> St Gobain
Glaverbel --> Asahiglass (Japonais)
Ciments d'Obourg (2ème cimenterie belge) --> Holderbank (Suisse)
Cie des Ciments belges (3ème...) --> Ciments français (1990)
FN --> groupe français GIAT (début 1991)
Dans l'agro-alimentaire :
Côte d'Or --> Jacobs-Suchard (suisse) --> Philip Morris (USA)
Café Chat Noir et Jacquemotte --> Douwe Egberts
Marie Thumas --> Bonduelle (français) (début des 1980)
Brasseries Maes et Alken --> BSN (français) juin 1992
Tabacofina-Vanderelst (cig. Belga) --> Rothmans (anglo-sud-africain) en 1989
Tirlemont (80 % de la production de sucre) --> Südzucker (All.)
Alumettes Union Match -(les drapeaux croisés) --> Volvo
Textiles De Witte-Lietaer --> Gamma (hollandais) en 1990
Banque Nagelmackers --> BNP (français) en 1991
Compagnie des Wagons-Lits --> Accor en 1991
Tapibel (tapis limbourgeois - 90 % du CA à l'étranger) --> Allied textiles (anglais) nov. 1991
Brasserie et fromagerie de Maredsous - -> français Bel (janv. 92)
Chicorée Pacha (<>) --> Chicorée Leroux (français) janv. 92
Tonton Tapis --> groupe hollandais Macintosh (mars 1993)
Saint-Roch (à Couvin), seul fabricant belge de chaudières en fonte --> groupe suédois Trelleborg, spécialiste dans le chauffage (juillet 1991).

BBL (Banque Bruxelles-Lambert), 2ème banque belge, a failli être rachetée en septembre 1992 par ING (Internationale Nederlanden Groep), 2ème banque hollandaise. L'OPA n'a pas réussi, mais c'est peut-être partie remise : la firme hollandaise détient déjà 20% du capital.
Sarma est racheté par le hollandais KBB (Koninklijke Bijenkorf Beheer) début 1997 : 27 magasins Sarma occupant des positions stratégiques dans les grandes villes belges.
Tractebel --> Société Générale (anciennement "de Belgique", mais aujourd'hui française, groupe Suez) en sept. 1996 (49 milliards FB) : la SBG contrôle aujourd'hui 65 % du capital. Or Tractebel contôle à son tour Electrobel : l'électricité belge est donc sous la coupe française. Mais voici que de nouvelles menaces pèsent sur Tractebel (mars 1997). En effet, il est question d'un mariage entre la Compagnie de Suez (belle-mère de la Société Générale) et de la Lyonnaise des Eaux. Une fusion, même partielle, serait de nature à porter gravement atteinte aux intérêts belges parce que la nouvelle venue nage dans les mêmes eaux que Tractebel . Il y a un risque de délocalisation : Tractebel pourrait voir progressivement transférer certaines de ses activités (développement à l'étranger, bureaux d'études, Fabricom, etc.) au sein du nouveau groupe.

A propos du rachat de Tractebel par la Générale (de France), je ne veux pas laisser passer l'occasion de stigmatiser l'attitude de certains de nos hommes d'affaires, en l'occurrence Albert Frère. Du reste, je me contenterai de citer la Libre Belgique qui, c'est bien connu, ne dit jamais du mal d'autrui. C'était le 14 mars 1997, je cite : "En 1989, sous le contrôle du gouvernement, la Générale (de France) signait avec Albert Frère une sorte de pacte sur le partage du secteur de l'énergie. En échange du contrôle de Petrofina, Albert Frère s'engageait à conserver l'équivalent d'une minorité de blocage dans Tractebel; soit un contrepoids, une garantie, un garde-fou. En automne dernier (1996), Albert Frère a vendu, pour 49 milliards de francs, cette ultime barrière qui empêchait le Générale (de France) et donc le groupe Suez, de prendre le plein contrôle de Tractebel. Personne, au sein du gouvernement, ne s'est inquiété de cette décision. Pourtant, elle faisait partie de la stratégie du groupe Suez et méritait déjà que l'on active la sonnette d'alarme."

Mais il semble bien qu'Albert Frère s'apprête à commettre un autre méfait : la création d'une grande banque par fusion de la Générale de Banque (filiale de la Générale de Belgique et donc de Suez) et la BBL (Banque de Bruxelles Lambert). Cette fusion est entre les mains de Suez à Paris et celles du groupe ING aux Pays-Bas. On nous a racheté les plus beaux morceaux de notre industrie, on va nous racheter les plus beaux morceaux de notre système bancaire. Et ce sont nos hommes d'affaires qui se commettent dans cette vilaine opération.

Mars 1997 les usines Boël sont en partie rachetées par le géant hollandais Hoogovens. Et, faisant prévoir les restructurations inévitables, Hoogovens a déclaré : "La réussite dépend de tous et n'est pas assurée de facto. Dorénavant La Louvière marchera "à la hollandaise" : on ne nous l'envoie pas dire.

Le rachat de nos firmes par l'étranger n'était pas écrit dans les astres. Le contraire aurait bien pu se faire. Roland Leuschel, un Allemand installé en Belgique depuis 30 ans (responsable de la stratégie à Bruxelles-Lambert) a publié un livre intitulé significativement : "Jamais le dimanche et de préférence en octobre" (Roularta Books 1992). Il écrit : "Si la moitié seulement de notre épargne colossale, gelée dans la dette publique, avait été investie dans les entreprises à capital à risque, n'aurait-on pas assisté à des OPA dans l'autre sens : de la Générale sur Suez, de Tirlemont sur Südzucker, de Wagons-lits sur Accor, de la BBL sur ING, de Côte d'Or sur Jacobs-Suchard, etc. Il est toujours permis de rêver... à moins que le législateur belge n'introduise prochainement une taxe sur les rêves."

Voici la preuve que l'inverse est possible : dans les années soixante, malgré l'opposition du général de Gaulle, le groupe Empain a réussi à entrer en force dans le groupe sidérurgique Schneider, le fleuron de l'industrie française (armes, locomotives, turbines, etc.). Le nouveau groupe Empain-Schneider s'est orienté alors vers le nucléaire et la construction de cuves de réacteur, les holdings français étant contrôlés par les holdings belges : Electrorail, Cofibel, Grands Lacs et Fagaz.

Remarque importante : il ne faut pas être un mastodonte pour nous acheter : il suffit d'être un petit pays dynamique et audacieux. C'est pour cela que la Belgique est achetée, morceau par morceau, par les Hollandais : c'est une belle revanche sur 1830. Mais voilà : la Belgique est un pays en voie de sous-développement; les Pays-Bas un pays en voie de développement. Pour comprendre, il suffit d'examiner comparativement les holdings de nos deux pays, secteur par secteur : ACEC et Philips (1904), Petrofina et Royal Dutch, Interbrew et Heineken, les AB et ING, la Générale de Banque et ABN, et - la cerise sur le gâteau - Sabena et KLM, etc.

Chose curieuse : les ACEC et Philips ont été fondées la même année, en 1904, dans le même secteur d'activité. Aujourd'hui Philips est une société puissante, possédant 70 filiales partout dans le monde, avec 250.000 travailleurs. Les ACEC (Ateliers de construction électrique de Charleroi) ont été rachetés par Westinghouse, avec un personnel réduit à quelque 2.000 travailleurs. Et pas rentable pour autant : Westinghouse voudrait s'en débarrasser : on se repasse les ACEC comme une assiette chaude. A propos, c'est Philips qui a inventé le tube au néon, le rasoir électrique, le compact disk, et bien d'autres produits de pointe. Les ACEC, qu'ont-ils donc inventé ?

La dépendance

Il faut le répéter : plus que la pauvreté, le sous-développement, c'est avant tout la dépendance. Voilà pourquoi je soutiens que la Belgique, mais surtout la Wallonie, est en voie de sous-développement.

Jean-Pierre de Launoit (vice-président de la Banque Bruxelles-Lambert) déclarait ceci à La Libre Belgique (26-9-92) :
"C'est d'ING qu'est venue l'initiative. Nous avons effectivement accepté de parler, mais nous nous sommes aperçus, au fil du temps, que les Hollandais avaient une vision totalement dominatrice, que dès lors le partenariat était illusoire et qu'on pouvait faire son deuil de la belgitude. Nous avons compris qu'une association équilibrée avec eux n'existerait jamais. Nous avons eu l'impression d'être un actionnaire minoritaire non souhaité dans cette maison. Nous avons été systématiquement mis en minorité. Nous avons aussi pu constater qu'ils étaient très pingres et qu'ils cherchaient à frustrer petits et gros actionnaires."

Voici les effets de la dépendance : rien qu'en 1991 :

- c'est une décision venant de Clermont-Ferrand qui a fermé l'usine à pneus de Machelen;
- c'est des États-Unis qu'est venu l'ordre de fermer l'usine Colgate de Herstal;
- c'est à Paris qu'on a décidé la fermeture de l'usine à zinc de la Vieille Montagne à Baelen.

Plus récemment, c'est à Billancourt qu'a été prise, sans la moindre sommation, la décision de fermer l'usine Renault de Vilvorde, ce qui va réduire au chômage 3.152 travailleurs. Je le répète : pas la moindre sommation : c'est un délit de fuite. Le gouvernement belge a protesté, le gouvernement français a compati, mais c'est de l'eau bénite de cour : on n'y coupera pas. Quant à l'intersyndicale européenne, elle demande encore à faire ses preuves et ce sera peut-être moins simple que de faire accepter l'euro comme monnaie unique. Il faut pourtant l'encourager : c'est notre seule planche de salut, étant donné la faiblesse, voire l'incohérence de la Commission des Communautés Européennes.

Remarquez, le coup de Jarnac de Louis Schweitzer n'est pas une "première" dans le domaine automobile. Déjà en 1970, Citroën avait fermé son usine belge, réduisant au chômage plus de 900 travailleurs, malgré les traditionnelles protestations syndicales et ministérielles. L'histoire ne commence donc pas : elle continue.

Ce qu'on ne sait pas suffisamment, parce que cela se fait dans la discrétion, c'est que les entreprises rachetées sont souvent démontées, du moins leurs meilleurs morceaux, et délocalisées à l'étranger. On pouvait lire ceci dans la presse, au début de juin 1995 : "Luc Willame, administrateur délégué de Glaverbel, a confirmé à ses actionnaires l'information lancée lors des grèves dans la région de Charleroi : le groupe verrier investira en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.

"Il s'agira "de reproduire hors Belgique toutes les activités qui ont une importance stratégique, avec des installations similaires opérationnelles d'ici deux à trois ans. Pour mieux retourner le couteau dans la plaie, il a dit que la décision a bel et bien été aiguillonnée par le conflit syndical : un dossier d'investissement était déposé à la région wallonne pour l'obtention de subsides. Il est caduc : Glaverbel ne fera plus marche arrière."

*
* *

L'État belge ne fait pas mieux que le secteur privé, il fait pire. Alors que l'informatique introduit enfin le progrès technique dans le secteur tertiaire, permettant d'énormes économies de main-d'oeuvre, le nombre de fonctionnaires belges est passé de 600.000 en 1973 à près de 900.000 aujourd'hui. En Belgique, un homme actif sur quatre est fonctionnaire; enfin, "actif", c'est beaucoup dire. En réalité, par la faveur politique, un pipe-line a fait régulièrement passer les exclus de l'industrie vers la fonction publique. Un bon tiers de nos fonctionnaires constituent ce que les économistes appellent du chômage déguisé, mais ils sont mieux payés que les chômeurs.

Que nous réserve l'avenir ?

Cet exposé est pessimiste, mais la réalité n'est pas exaltante; l'avenir est-il aussi noir ? Nous n'avons hélas pas fini de nous purger des erreurs du passé; c'est ce qui occulte dans une certaine mesure les raisons d'espérer. L'étude de la Kredietbank, dont il était question ci-dessus, conclut son analyse en disant : "pendant encore une grande partie du 21ème siècle, la Belgique devra payer les erreurs commises pendant les années 70."

Les raisons d'espérer se trouvent peut-être dans le secteur des petites et moyennes entreprises. Mais nous manquons d'innovateurs, ayant le goût du risque. Il y en a pourtant : en voici deux exemples, simplement. Dans le zoning industriel de Louvain-la-Neuve, une petite entreprise appelée "Iris" (effectif : 55 personnes) a inventé le crayon électronique, qui permet d'introduire dans l'ordinateur, par simple soulignement, une ligne de texte toutes les deux secondes : le "data pen". Le produit est breveté et commence à bien se vendre : 50.000 exemplaires en trois ans à travers le monde. Autre exemple : une entreprise belge produit les 80% des billes de billard utilisées dans le monde entier, la Saluc, installée dans le Tournaisis. Je suis mal informé, mais peut-être existe-t-il pas mal d'entreprises de ce genre, trop mal connues ?

Et certaines de nos vieilles entreprises ont gardé de beaux restes. Le groupe Bekaert, qui a conservé son caractère familial, avec 47% des actions, occupe toujours 17.000 personnes, avec un chiffre d'affaires de 90 milliards de fr. et 59 centres de production dans 19 pays. Mais sur 100 francs de recette, Bekaert consacre deux francs à la recherche et au développement. Il a dépassé quelque peu le stade du fil de fer.

Cependant l'attrait de la nouveauté nous fait encore défaut. Je n'en retiendrai pour preuve que la répartition régionale des sites belges sur Internet (en mai 1996) : sur les 1.700 sites alors répertoriés, 60 seulement étaient wallons, 160 bruxellois et le reste flamand : plus de 80 % ! A l'intérieur d'une Belgique largement dominée par l'étranger, la Wallonie est de plus en plus sous la coupe de la Flandre. Mais ceci mériterait une autre conférence.

Pour prévoir ce qui va se passer, il faut prendre conscience des changements structurels importants qui affectent l'économie mondiale depuis 15 ou 20 ans : ce qu'on appelle "la mondialisation", suscitée par la libre circulation des biens et des capitaux comme jamais auparavant dans l'histoire. Cette évolution tient à des progrès techniques sans précédent :
- pour les produits, un abaissement considérable des coûts de transport maritimes grâce à l'augmentation de la dimension des navires, l'automatisation de leur pilotage et surtout la "conteneurisation";
- pour les capitaux, la télématique qui leur permet de circuler par delà des frontières à la vitesse de l'éclair.

Il est possible maintenant de fractionner la production des marchandises et de la délocaliser géographiquement en profitant des différences dans les coûts de production, notamment de la main-d'oeuvre. Cette dernière, en de nombreux pays du tiers monde, atteint maintenant une qualification suffisante pour être apte au travail en usine.

Dans les pays actuellement développés, le secteur industriel connaîtra, en termes d'emploi, l'histoire de la peau de chagrin, comme auparavant l'agriculture. Historiquement la Belgique a détenu le record de l'emploi dans le secteur industriel : 53% des actifs en 1950. Il ne faut surtout pas pavoiser : si nous avions autant de main-d'oeuvre dans nos usines, c'est qu'elles étaient en retard de mécanisation. Aujourd'hui, des prévisionnistes sérieux pensent qu'en l'an 2.000, dans les pays développés, la main-d'oeuvre industrielle ne représentera plus que 10% des actifs; et dix ans plus tard, 2% seulement : moins qu'aujourd'hui dans l'agriculture. Cela ne réduira pas nécessairement la production industrielle, mais comme aujourd'hui en agriculture, on produira toujours plus avec toujours moins de travailleurs.

Conclusion

Que faut-il faire ? Que faudrait-il avoir le courage de faire ? D'abord, il faudrait faire le ménage. Il convient que les responsables de la débâcle initiée dans les années 70 disparaissent, s'ils ne l'ont pas encore fait, de la scène politique et de la direction des affaires. A fortiori faut-il que soient écartés les cadres promus uniquement pour leur allégeance politique dans les entreprises publiques ou semi-publiques. A la Sabena, disent les méchantes langues, on pourrait renvoyer dans leurs foyers sans grand dommage les cadres de premier et second rang qui bénéficient de plantureux émoluments.

Les auditions de la commission Dutroux ont démontré à quel point les structures formelles de l'administration publique sont sclérosées, inopérantes, au moins partiellement dans l'appareil judiciaire, la police et la gendarmerie. Seraient-elles plus efficaces dans le domaine économique ?

Pourra-t-on effectuer ce nettoyage par la voie démocratique ? Il ne faut rien augurer de bon de la nomination récente des présidents du parti socialiste et du parti libéral, élection qui ne ressortit évidemment pas à la démocratie mais au système du Soviet Suprême. Faudrait-il alors recourir à la démocratie directe : au pays réel, comme disaient les rexistes ? Une marche blanche suffirait-elle? Ou bien faudrait-elle qu'elle soit rose, sinon rouge ?

Une nouvelle politique économique devrait redistribuer l'activité de manière à introduire des changements considérables dans la structure de notre économie nationale. Il faudrait d'abord réduire le secteur industriel là où il n'est plus depuis longtemps et ne sera plus jamais compétitif, donc rentable dans une économie de marché. Il faudrait par contre encourager la recherche et le développement dans les secteurs de pointe. En tout cas il faut garder à l'esprit qu'à terme, la main-d'oeuvre industrielle se réduira, bon gré mal gré, à 2% de la population active.

Ces changements nécessiteront complémentairement d'importants investissements en matière d'enseignement. Au début de la société industrielle, l'analphabétisme était très répandu dans le monde ouvrier. Aujourd'hui, il est devenu pratiquement impossible de trouver un emploi si l'on ne sait pas au moins lire et calculer.

Les analphabètes de demain sont ceux qui ne pourront trouver leur place dans la nouvelle société du savoir. L'émergence du savoir comme nouvelle source de pouvoir pose naturellement le problème de ces nouveaux exclus. Le travail purement manuel et les travaux de routine dans les bureaux sont irrémédiablement appelés à disparaître : les machines et les ordinateurs se chargeront intégralement de la besogne.

Pour être productive, la main-d'oeuvre devra donc être intelligente, créative et capable de maîtriser au moins une parcelle du "savoir"; c'est déjà le cas au Japon. Il ne s'agit plus seulement de savoir lire ou écrire, mais en plus de pouvoir programmer. L'éducation, une fois de plus, apparaît comme une priorité absolue pour l'avenir.

Ensuite, et peut-être surtout, il faut dégraisser le secteur tertiaire dans ses activités non productives : l'administration publique, les banques et assurances, etc. Par contre, le secteur tertiaire pourrait répondre à d'importants besoins qui ne sont pas satisfaits. Des besoins collectifs qui peuvent être financés par l'Etat : la santé, le logement, l'éducation, la sécurité. Mais aussi des besoins immenses qui pourraient être financés par le secteur privé à condition que l'intervention des pouvoirs publics diminuent le coût du travail : ce sont les services aux personnes (aide aux personnes âgées, accompagnement des enfants après l'école, services à la clientèle autour des entreprises, sécurité), jusqu'au champ immense de l'environnement, de la récupération des déchets et l'aménagement du territoire ou même de l'accès à la formation et à la culture.

Pour finir, ce qui est ici en question, ce n'est rien de moins que notre modèle de société. Mais si nous ne prenons pas l'initiative des réformes, elles nous seront imposées, et d'autant plus pénibles.

Chers amis, que Dieu nous garde !


Fernand Bézy

Professeur émérite U.C.L.
Louvain-la-Neuve




Fondation Roi Baudouin : "L'économie belge sous influence", Herman Daems et Peter Van de Weyer, Academia, 1993.


page :UCL | SPED
12 février 1996
Responsable : Lemaître Jean-Pierre < lemaitre@econ.ucl.ac.be >
Auteur : FERNAND BEZY < BEZY@DVLP.ucl.ac.be >

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A creuser : les idées, pas la tombe ...

Sommaire du n°1 de la "Revue Générations"


Trimestriel numéro 1 (juin 1994) Gros-plan
2 La solidarité sous le même toit: une expérience d’habitat intergénérationnel en Espagne
18 Vivre pleinement toute sa vie: des personnes âgées qui bougent au Danemark
Rencontres entre générations

6 Vous aussi, vous avez été amoureuse?
Réflexion

8 Lettre ouverte aux jeunes qui croient que le vieillissement ne les concerne pas
HISTOIRES
16 L'espace d'un instant: Fernande
22
Dis, raconte: le trésor de la vie
28 Bandes dessinées

échos et infos
15 A découvrir
26 Infos
24 Matériel pédagogique




| 20/03/2007 |




Mots clés : société – jeunes –vieillesse – vieillissement – géritude – durée de vie – réflexion

Lettre ouverte aux jeunes qui croient que le vieillissement ne les concerne pas
MICHEL LORIAUX, INSTITUT DE DÉMOGRAPHIE/UCL

“La perspective d’une société nouvelle, plus humaine et moins compétitive, avec des valeurs plus douces, à l’image des aînés qui les supportent,

émerge progressivement.
Donnez-lui sa chance, car elle ne peut, à vous aussi les jeunes, que vous être bénéfique.”

Vous êtes jeunes, vous avez 20 ou 30 ans et l’avenir vous appartient. Vous êtes, comme on dit, en pleine force de l’âge et vous avez l’impression d’être au maximum de possession de vos capacités physiques et mentales. Bravo, vous avez raison et vous avez de la chance, car même à 20 ou 30 ans, tout le monde ne peut malheureusement pas en dire autant.

Les vieux sont-ils des martiens ?

Et les vieux par rapport à vous, les connaissez-vous bien, en dehors de vos parents ou de vos proches immédiats, et pensez-vous que vous avez quelque chose en commun avec eux des intérêts, des représentations, des valeurs, des responsabilités?
Je ne voudrais pas m’aventurer et répondre pour vous, mais je pense que non ! Vous les connaissez mal, ou vous ne les connaissez pas du tout, et souvent ils vous apparaissent aussi étrangers que des martiens, ou des membres de civilisations lointaines, mystérieuses et incompréhensibles.

Et après tout, on peut difficilement vous en vouloir si vous pensez comme cela. Sans vouloir vous disculper par pure démagogie, il faut admettre que vous ne faites là que reproduire un modèle latent dans toutes les sociétés occidentales, quelque chose qui tient à l’air du temps, qui se glisse insidieusement et imperceptiblement dans nos esprits et qui guide nos attitudes et nos comportements presque à notre insu. Car, reconnaissons-le, nos sociétés ont créé un certain climat d’exclusion à l’égard des personnes âgées et elles ont largement contribué à dresser les générations les unes contre les autres.

Tout le monde connaît les arguments évoqués : les vieux sont des poids morts pour nos sociétés depuis qu’ils ne sont plus pris en charge par les familles, mais par les Etats, via les systèmes de solidarité collective et qu’ils ne participent plus à l’effort collectif de production de richesses. Des arguments au nom desquels on pourrait imaginer de les soumettre à l’épreuve du cocotier, comme dans certaines peuplades primitives où seuls survivent les vieux qui peuvent encore grimper à l’arbre et s’y maintenir sans tomber. Ou même les “euthanasier” purement et simplement pour inutilité et coût d’entretien trop élevé.

L’épreuve du cocotier

Bien sûr, nos valeurs judéo-chrétiennes et notre éthique occidentale ne nous permettraient pas d’envisager un tel traitement de la vieillesse qui susciterait naturellement de nombreuses oppositions.

Il ne faudrait pas croire pour autant que la question de l’élimination des vieillards relève de la science-fiction car, dans certains pays hautement “développés”, les Etats-Unis en tête, il se trouve des mouvements puissants pour réclamer une sorte de ‘solution finale” pour les vieillards grabataires dont le coût d’entretien est devenu trop lourd à supporter et qui détournent des investissements importants d’autres catégories de la population plus ‘méritantes” ou plus utiles, les jeunes notamment. Et il ne s’agit pas là d’actions motivées par un grand sens moral ou une sensibilité portant à abréger des souffrances intolérables, comme certaines législations sur euthanasie volontaire l’autorisent, car les seuls arguments évoqués ici sont économiques, au nom du respect de l’équité entre les générations.

Drôle d’équité, disons-le. Pourtant, c’est cette même équité qui est évoquée par d’autres auteurs, moins virulents il est vrai, pour expliquer qu’il y aurait lieu de réduire le niveau des pensions, parce que nos systèmes de sécurité sociale sont devenus trop généreux et qu’ils ont fini parfaire des retraités la catégorie la plus nantie en revenus et surtout en patrimoine, dont la grande majorité est concentrée entre les mains de personnes âgées de plus de 60 ans.

De nombreux jeunes travailleurs ont ainsi acquis la conviction qu’il était plus raisonnable de financer au maximum soi-même sa propre retraite, plutôt que de se fier à des mécanismes de répartition qui vont un jour ou l’autre capoter, quand les prestations-services dépasseront de loin les cotisations prélevées.

Mais n’est-ce pas là une bien exorbitante prétention que d’imaginer qu’on pourrait subvenir seul à ses propres besoins et à ceux de son ménage, pendant une période d’inactivité qui risque d’être au moins aussi longue que la durée de sa vie active?

Avec quoi payerez-vous les années gagnées sur la mort ?

Autrefois, on obtenait sa retraite à 65 ans et on risquait fort d’être déjà mort 5 ou 10 ans plus tard, de sorte que la collectivité ne devait financer les pensions que pendant un laps de temps relativement bref. Mais aujourd’hui, tout a changé et la longévité s’accroît sans cesse aux âges élevés dans le même temps où l’âge légal ou conventionnel d’accession à la retraite tend à diminuer. Ceux d’entre vous qui ont actuellement plus ou moins 20 ans et qui auront donc 55 ans aux alentours de 2030 pourront fort bien vivre en moyenne jusqu’à 90 ans et même, pour un nombre non négligeable, atteindre 100 ou 110 ans, c’est-à-dire ne pas mourir avant la seconde moitié du prochain siècle et même, au-delà, vers 2070!

Que ferez-vous de ces années gagnées sur la mort si votre retraite intervient effectivement vers les 55 ans, ou même plus tôt, puisqu’il est assez évident que la quantité globale de travail diminuera dans l’avenir? Quarante-cinq ou cinquante ans de vie inactive qu’il vous faudra occuper par des loisirs plus ou moins intelligents, mais pendant lesquels il vous faudra aussi des ressources afin de pouvoir accéder à ces loisirs. Pensez-vous que c’est à la mesure de votre effort d’épargne potentiel pendant les 30 années de votre vie professionnelle?

Et les jeunes de demain, à qui vous aurez donné l’habitude de ne plus respecter les solidarités intergénérationnelles, pensez-vous qu’ils voudront ou pourront encore recréer des systèmes d’assurance par répartition ? Probablement non, car les générations qui auront, les premières, tranché la chaîne de la solidarité intergénération-nelle envers les générations plus âgées, devront elles-mêmes subir le contrecoup de leur acte insensé. C’est la conséquence d’une vérité toute simple et tellement banale que j’ai presque honte de le rappeler : les jeunes d’aujourd’hui seront les vieux de demain, et rien ne changera aussi longtemps que l’homme ne sera pas devenu éternel, à l’image des dieux.

La vieillesse s’est approprié la mort

Par contre, une chose a changé, c’est l’allongement de la vie qui est incontestablement le progrès le plus marquant du XXe siècle, bien avant la découverte de l’énergie atomique ou la conquête de l’espace.

Avec l’élévation de l’espérance de vie, tout a changé, parce que les enfants ont cessé de mourir en grand nombre et que la mort s’est trouvée progressivement reléguée à la fin de la vie. En 1994, on ne meurt plus guère avant 55 ou 60 ans, sauf par accident ou par malformation génétique. Du coup, un étrange transfert s’est opéré : la mort qui frappait autrefois toutes les classes d’âge avec une vigueur quasiment aussi forte, ne frappe plus guère de nos jours que les vieillards, de sorte que mortalité et vieillesse sont devenus quasiment synonymes.
L’explication de la marginalisation contemporaine de la vieillesse réside probablement dans ce fait : ce que les philosophes appellent le déni de mort (le refus psychologique de reconnaître la mort comme notre partenaire incontournable) a engendré le déni de vieillesse qui a renforcé l’exclusion et la marginalisation des vieux. En quelque sorte, les vieux sont relégués moralement à la périphérie de nos sociétés dans des mouroirs aseptisés, comme les pauvres et les SDF sont relégués à la périphérie de nos villes, dans les bidonvilles de la croissance urbaine.

La vieillesse fait peur et on a longtemps pris le parti de ne pas la regarder en face pour ne pas la voir, et de la traiter médicalement et socialement dans des institutions spécialisées : maisons de repos, hôpitaux gériatriques, ou autres établissements, afin de ne pas avoir à entendre les cris de détresse de ceux qui souffrent de douleur ou de solitude.
Il faut néanmoins admettre que les situations se sont sans doute améliorées depuis quelques années, et qu’une meilleure connaissance des problèmes du grand âge et du vieillissement a entraîné une meilleure reconnaissance des personnes âgées, même si beaucoup de progrès restent à réaliser.

La société est un tout

Ce que démontre tout cela, c’est surtout que la question des rapports entre générations est au coeur du débat sur le vieillissement et plus généralement sur l’avenir des sociétés occidentales qui doivent toutes faire face à un vieillissement démographique de plus en plus accentué.

Une société constitue un tout homogène dont on ne peut séparer les parties, sous peine de fragiliser tout l’édifice. Il en va du social, comme de l’individuel : de même qu’un être humain n’est accompli que s’il passe par tous les âges de la vie, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, une société n’est réussie que si elle parvient à intégrer toutes les classes d’âge.

Et là est bien le grand défi : intégrer tous les âges, sans exclusive. Ne pas intégrer les jeunes ou les vieux, mais les jeunes et les vieux avec des échanges réciproques entre toutes les générations. Car le principal danger dans un groupe, c’est que les échanges s’opèrent à sens unique et qu’une catégorie apparaisse comme bénéficiaire d’avantages exorbitants et unilatéraux. Recevoir a un corollaire obligé : rendre. Les personnes âgées ou les retraités, s’ils sont perçus ou traités uniquement comme des consommateurs passifs, sont condamnés à assister à leur dévalorisation inéluctable et à leur marginalisation accrue.

Des citoyens à part entière

Pour l’éviter, il faut absolument trouver ou reconnaître une utilité sociale aux aînés et leur permettre de valoriser les énormes potentiels de ressources dont ils sont détenteurs, non seulement en revenus et en capital économique, mais surtout, dirais-je, en savoir faire et en capital humain. C’est seulement dans la logique insensée de l’économisme qui gouverne les sociétés capitalistes que les personnes âgées ont été assimilées à un capital obsolète ou à des machines usées et inutiles, en faisant abstraction de l’immense réservoir de ressources humaines, de connaissances et d’expériences qu’elles représentent.

De plus en plus, les aînés se considèrent comme des citoyens à part entière qui ont certes des devoirs à respecter mais également des droits à faire valoir et une vision propre de la société à proposer. Après tout, si la longévité atteignait les 90 ans et si la fécondité restait bloquée à un niveau très inférieur au seuil de remplacement des générations (comme c’est actuellement le cas 1,6 ou 1,7 enfants par femme), il faudrait s’attendre à ce que les personnes âgées de 60 ans et plus représentent, vers la moitié du siècle prochain (c’est-à-dire quand vous-mêmes, les jeunes d’aujourd’hui, serez devenus les aînés de demain), près de 40 % des effectifs totaux de la population.

Dans ces conditions, elles ne seraient pas loin de détenir la majorité politique absolue, et elles la détiendront même à coup sûr si on inclut dans ce groupe les quinquagénaires : autrement dit, dans l’avenir, il sera de moins en moins possible de gouverner dans les sociétés démocratiques sans les “vieux” et, a fortiori, contre les vieux, sous peine de déclencher de formidables conflits de générations qui pourraient, si on n’y prend garde, relayer les luttes de classe des XIXe et XXe siècles.

Les jeunes n’ont plus le vent en poupe

Et bien évidemment dans cette hypothèse, les jeunes risqueraient d’en être les grands perdants, puisqu’ils n’auraient plus pour eux la masse démographique et politique suffisante. Il faut donc vous résigner à inéluctable et admettre une réalité incontournable : les jeunes n’ont plus le vent en poupe et ils ne sont plus les seuls moteurs de la nouvelle société qui se met en place sous nos yeux : finie la société industrielle, vive la société informationnelle, c’est-à-dire une société qui ne sera plus basée principalement sur la production de biens classiquement matériels (voitures, frigos, téléviseurs, etc.), mais davantage sur la production de services de masse dans une multitude de domaines, mais en particulier dans ceux de l’éducation, de la santé et des loisirs. Or,quels sont les groupes numériquement importants qui sont les principaux demandeurs de tels services : bien évidemment seulement les personnes âgées et les retraités, pour la simple et bonne raison qu’ils sont en croissance constante, qu’ils sont les principaux détenteurs du temps libéré et qu’ils peuvent le consacrer à l’exercice de toutes les formes de loisirs ou d’activités récréatives que la nouvelle société de communication propose : pas seulement les voyages et les cures de revalidation, mais aussi les théâtres et l’opéra, le cinéma et la télé, les cafés et les salles de sport, etc.

Avez-vous jamais réfléchi au prix que vous devriez payer pour vos vacances d’été, en juillet et en août, s’il n’y avait pas des cohortes de vieux qui rentabilisent les installations hôtelières et les clubs de vacances pendants les saisons creuses ?
En ce qui concerne la santé, pas de doute non plus : les personnes âgées sont des grands consommateurs de services et soins sanitaires, mais tous les équipements coûteux et diversifiés qui sont mis en oeuvre pour satisfaire leur demande, vous sont également accessibles et permettent aux pouvoirs publics de promouvoir une politique de santé préventive qui vous aidera peut-être à devenir à votre tour centenaire dans de bonnes conditions de qualité de vie.

Les retraités créeront la croissance

Peut-être m’objecterez-vous que ces activités de service ne suffisent pas à faire une économie prospère et à créer de la croissance, car vous avez en tête qu’on considère généralement les investissements dans ces domaines - notamment ceux de la santé et de l’éducation comme des investissements improductifs, c’est-à-dire non générateurs d’effets d’entraînement sur le reste de économie. N’en croyez rien ! C’est une illusion entretenue par des économistes classiques qui ne comprennent plus rien au monde dans lequel ils vivent.

En réalité, la nouveauté est à la fois que des richesses de plus en plus nombreuses peuvent être créées avec de moins en moins d’hommes pour les produire et que les services qui autrefois demandaient seulement un certain savoir-faire personnel - l’éducation en est un exemple - réclament aujourd’hui l’assistance de technologies de pointe (des ordinateurs, des magnétoscopes, des réseaux de communication, etc.) qui, à leur tour, exercent des effets multiplicateurs sur l’économie à travers les relations interindustrielles.

Voilà la raison pour laquelle améliorer la santé ou diffuser l’éducation ne peuvent plus être considérés comme des dépenses improductives, mais comme des facteurs de développement des sociétés post-industrielles. Et voilà pourquoi les retraités seront les moteurs de ce développement nouvelle formule, parce qu’ils sont ceux dont les besoins dans ces domaines sont les plus importants ou les plus novateurs, et dont les ressources sont suffisantes pour adresser une demande soutenue à l’économie. A condition bien sûr, qu’on ne fasse pas tout pour les en empêcher, notamment en réduisant le niveau des retraites légales ou en limitant leur accès aux services de santé.

Les vieux comme planche de salut

En somme, la meilleure chance, pour vous les jeunes, de retrouver de l’emploi ou de vous faire une place dans une société qui vous paraît souvent si inhospitalière, c’est paradoxalement de permettre à vos aînés de jouer le rôle qu’on attend d’eux en qualité de consommateurs de biens et de services à haute valeur ajoutée et à forte composante technologique. Vous croyiez sans doute au départ que les vieux étaient une menace pour vous et qu’ils vous « bloquaient » dans votre avenir, et vous découvrez tout d’un coup qu’ils sont peut-être votre principale planche de salut. Curieux revirement de situation, non?

La perspective d’une société nouvelle, plus humaine et moins compétitive, avec des valeurs plus douces, à l’image des aînés qui les supportent, émerge progressivement. Donnez-lui sa chance, car elle ne peut, à vous aussi les jeunes, que vous être bénéfique. Aujourd’hui, la transition entre la société industrielle et la société informationnelle vous paraît difficile et pénible à supporter, parce que vous êtes les premiers à supporter les soubresauts de cet enfantement délicat. C’est peut-être difficile à admettre, mais le chômage, les emplois précaires et les difficultés de faire carrière constituent les symptômes d’un
formidable progrès sociétal : la fin d’une ère de labeur et l’entrée dans la civilisation du temps libéré et des loisirs. Bien entendu, une telle mutation ne peut se faire en quelques années sans que des générations entières aient à en souffrir.

Le vieillissement est l’affaire de tous

La seule chose à faire est d’essayer de limiter les dégâts et de veiller à ce que cette révolution de l’ère de la géritude soit la moins douloureuse possible pour un maximum de nos concitoyens. Mais c’est aussi d’éviter les fausses manoeuvres, les mesures perverses et les politiques inadaptées que nos dirigeants sont tentés de prendre parce qu’ils n’ont pas compris les véritables enjeux de notre temps. Aidez-les donc à voir plus clair et à ne plus projeter dans l’avenir les recettes qui ont fait le succès du passé.

Les vraies questions ne sont pas aujourd’hui de savoir comment financer les retraites ou comment limiter les dépenses de santé, ni même de partager le travail et le chômage comme on l’entend répéter quotidiennement. Le seul débat qui compte réellement, c’est de savoir comment répartir équitablement entre les générations des ressources qui ne sont certes pas illimitées, mais qui sont néanmoins importantes, et comment sortir d’une crise qui n’est pas celle de l’Etat-Providence, mais d’un système de production capitaliste poussé à l’absurde où l’on confond trop facilement la liberté d’entreprendre et l’anarchie du profit, l’égalité et la loi du plus fort, la justice entre générations et la chasse aux sorcières vieillissantes.

Le monde que je vous propose de rejoindre et d’essayer de construire ensemble n’est pas exempt d’embûches, ni de conflits, mais il est d’abord fait d’amour et de sagesse, de coopération entre les âges, de solidarité collective, de respect de l’environnement et de meilleure intégration de nos activités par rapport à la nature dont on comprend enfin qu’il devient impératif de la respecter. Puisque nous vivons, parait-il, dans des régimes démocratiques, c’est à vous qu’il appartient de faire les bons choix et de rompre avec les vieux démons des sociétés du mépris et de l’individualisme exacerbé, en prouvant que vous avez compris que le vieillissement, c’est bien, en définitive, l’affaire de tous. •

Michel Loriaux

Extrait du Cahier DAJEP n’ 18/1993
MINISTERE DE LA CULTURE
Boulevard Léopold
II, 44
B-1080 Bruxelles
Tél: 32/2/ 413.24.79

L’allongement de la durée de vie

En gagnant 30 ans de longévité en moins d’un siècle, l’espèce humaine a radicalement modifié ses conditions de vie. Et cela davantage qu’au cours de toute l’histoire de l’humanité qui a précédé. Dans l’ancien régime démographique, disons avant le XIXe siècle (vers 1750 ou 1800), la longévité moyenne de nos contrées n’excédait guère 25 ans, à peu près comme dans l’antiquité ou même probablement la préhistoire. La raison en était que beaucoup d’enfants mouraient très jeunes, de sorte qu’il fallait compenser ces décès par des naissances nombreuses pour maintenir l’intégrité sociale du groupe:6 à 8 enfants au moins en moyenne par femme. Mais la mort n’épargnait vraiment personne : elle frappait indistinctement les adolescents, les mères en couches, les adultes et les vieillards qui avaient eu la chance (?) de lui échapper durant assez longtemps. Les maladies étaient souvent fatales et la famille traditionnelle, qu’on disait très unie, était en réalité disloquée par les ravages de la mort. Dans ces conditions, la vie était toute entière orientée vers la simple survie et le temps manquait aux hommes pour faire des projets à long terme.

Les vieux ont changé

Aujourd’hui, non seulement homme âgé est moins usé physiquement, mais sa force physique n’est plus, et de loin, sa caractéristique la plus intéressante, même pour
économie. On considère volontiers qu’un individu âgé en 1993 de 75 ans est plus jeune, sur le plan biologique et physiologique, qu’un sujet de 60 ans avant la Seconde Guerre mondiale. Chacun peut s’en rendre compte : le vieillissement individuel a presque partout reculé, de sorte qu’il devient absurde de considérer un aîné d’aujourd’hui comme un vieillard d’antan, puisqu’ils n’ont plus grand chose en commun, hormis leur âge, mais un âge qui n’a manifestement plus la même signification. D’autant plus qu’en dehors de cet identificateur administratif des personnes, bien d’autres caractéristiques ont changé: les vieux qui passaient pour des personnes peu instruites, plutôt conservatrices et timorées, apparaissent aujourd’hui, dans leur grande majorité, non seulement plus instruites et diplômées, mais également comme plus modernes et revendicatrices. Autrement dit, il ne faudra plus compter dans l’avenir sur leur fatalisme ou leur passivité et leur soumission au pouvoir. Ils sauront dorénavant revendiquer leurs droits et ne plus croire dans toutes les promesses électoralistes des hommes politiques qui y avaient vu pendant longtemps des électeurs acquis d’avance à qui il suffisait d’offrir un fauteuil à bascule au moment de l'entrée en retraite.

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Nom :Claude-Michel Loriaux
Adresse bureau:DEMO Place Montesquieu,1 ,bte.17

1348 Louvain-la-Neuve
Entité:DEMO Institut de démographie
Adresse électronique: claude-michel.loriaux@uclouvain.be

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Point de vue d'un expert

La mécanique de la crise financière

Auteurs: THOMAS,PIERRE-HENRI
Finances Analyse de Peter Praet, directeur de la Banque nationale de Belgique

Pourquoi la baisse des prix des maisons aux Etats-Unis provoque une crise mondiale ? Le décodage d’un expert.

Depuis six mois, le monde financier est entré en zone de turbulences. La multiplication des accidents sur les prêts hypothécaires à risque (les « subprime ») aux Etats-Unis est devenue une source de problèmes pour beaucoup de banques dans le monde. Peter Praet, directeur de la Banque nationale de Belgique, en charge de la stabilité financière, préside aussi le Comité de la surveillance bancaire au sein du Système européen de banques centrales. Il explique la mécanique de la crise des « subprime ».

1 L’origine du problème.

Le marché américain des prêts hypothécaires pèse 10.000 milliards de dollars. Les prêts accordés à des emprunteurs de faible qualité, les « subprime », représentent de 15 à 20 % du total. « Les institutions financières ont proposé des prêts, surtout à partir de 2006, qui se caractérisaient par des conditions très souples, explique Peter Praet. Il s’agissait de prêts non documentés, les déclarations de l’emprunteur concernant ses sources de revenues n’étant pas vérifiées, accordés à taux ajustables avec une période initiale de deux ans à très faibles taux d’intérêts. Et la troisième année, il y a une forte augmentation de la charge financière. On en a émis l’an dernier, 700 milliards de dollars. »

Les caractéristiques varient selon les Etats. Au Texas, la maison peut être rapidement liquidée en cas de défaillance. Dans d’autres Etats, la procédure peut prendre un an. « Mais il y a un élément qui est commun, souligne Peter Praet : si les prix des maisons ne montent plus, beaucoup de gens ont des problèmes en même temps. La « distribution de risques » pour le prêteur devient beaucoup plus resserrée, puisqu’elle dépend d’un seul facteur, le prix des maisons. »

Pas mal de ménages étaient conscients du risque qu’ils prenaient. « Mais tout le calcul, explique Peter Praet, était de rembourser le “subprime” après deux ans, et de refinancer sa maison avec un emprunt traditionnel, qui pouvait être obtenu parce que le prix de la maison avait entre-temps monté. » Mais voilà : depuis plus d’un an, le prix des maisons baisse aux Etats-Unis.

2 L’immobilier, moteur de la croissance américaine.

Les Etats-Unis ont tiré l’économie mondiale pendant des années, grâce à la consommation des ménages, moteur alimenté lui-même par les prix de l’immobilier.

« Quand le prix des maisons monte, la valeur des actifs immobiliers des ménages augmente. Et les Américains réempruntent alors en donnant en garantie une maison qui vaut plus. Avec cet argent, ils achètent une voiture, agrandissent leur maison…, ils consomment. Certaines années, note Peter Praet, c’est 800 milliards de dollars qui ont alimenté la consommation par ce biais. Mais lorsque le prix des maisons chute, ce financement disparaît, et une pression se manifeste sur l’ensemble de l’économie américaine, car les possibilités d’emprunt des consommateurs disparaissent. De plus, de nombreux ménages éprouvent des difficultés de remboursement et coupent dans leurs dépenses. Une baisse de la consommation américaine est imminente. »

3 Un risque devenu mondial…

Beaucoup de ces crédits ont été refinancés par d’autres investisseurs, y compris du reste du monde, au moyen d’un mécanisme qu’on appelle la titrisation, qui consiste à revendre ces crédits après les avoir reconditionnés. Quel est le processus ? Une banque américaine détient un portefeuille de crédits. Elle va le céder à un « véhicule spécial » qui en contrepartie émettra des titres structurés en tranches présentant différents degrés de risque – il y a des tranches notées triple A (les moins risquées), d’autres plus risquées. Ces tranches sont revendues à des investisseurs (assureurs, banques, fonds de pension, sicav…). Ce mécanisme intéresse les banques qui, en dégageant ces crédits de leur bilan, libèrent une partie de leurs fonds propres qu’elles peuvent utiliser ailleurs. Les investisseurs, eux, sont intéressés à acquérir ces tranches qui rapportent plus que des fonds d’Etat.

Ce saucissonnage repose sur une analyse de la distribution des risques. « Le calcul du risque sur un ensemble de crédits donne plutôt une courbe en forme de cloche, car les risques de défaillance diffèrent entre les personnes, explique Peter Praet. Si je me trompe dans les corrélations, plutôt que d’avoir diversifié mon risque, je retombe dans le cas où il existe une certaine probabilité qu’une grande partie des crédits fasse défaut en même temps. » Et c’est ce qui se passe aujourd’hui : beaucoup de défaillances sont déterminées par un seul facteur, la baisse du prix des maisons. Le risque n’est pas diversifié.

4… Et démultiplié.

Mais comment des pertes immobilières estimées au départ à une centaine de milliards de dollars font vaciller des marchés de plusieurs centaines de milliards de dollars ? Pour le comprendre, il faut plonger les mains dans le cambouis financier. Explications.

Les institutions qui achètent les crédits bancaires et les revendent sont des véhicules spéciaux (SPV, special purpose vehicle). Un SPV classique acquiert des crédits, avec une petite décote. En contrepartie, il émet des tranches d’obligations de risques divers. « Pour que la tranche la plus solide, notée triple A, ait un problème, il faut une grosse crise », observe Peter Praet. Car les défauts sont d’abord supportés par les tranches plus risquées. Alors, pourquoi y a-t-il eu des turbulences dans ce segment ?

« D’abord, répond Peter Praet, de nombreux investisseurs n’ont pas compris la nature exacte du risque qu’ils prenaient. Ensuite, certaines institutions ont beaucoup emprunté, ce qui les a fragilisés. Si des fonds spéculatifs se financent auprès de contreparties professionnelles en prenant en garantie des titres dont la valeur se réduit, ces contreparties vont demander des garanties supplémentaires. » C’est ce qui s’est passé avec les fonds de la banque Bear Stearns (Le Soir du 19 juillet).

Parmi ces SPV existent des véhicules qu’on appelle « conduits ». Ils mettent d’un côté à l’actif des tranches d’obligations triple A provenant de la titrisation des crédits. En contrepartie, ils émettent du papier commercial (des obligations à très court terme). Ce papier commercial, baptisé ABCP (asset backed commercial paper), rapporte plus que les placements à court terme classiques, car il est garanti par des obligations à long terme, qui portent des taux plus élevés.

« On a émis 1.200 milliards de dollars d’ABCP, affirme Peter Praet. De ce montant, le “subprime” ne représentait qu’une petite partie. Il était combiné à d’autres crédits. Mais quand les problèmes immobiliers ont commencé à apparaître, les investisseurs n’ont pas voulu prendre le moindre risque. Et ils se sont retirés. En quelques mois l’encours est passé de 1.200 à 800 milliards : 400 milliards n’ont pu être refinancés, et les banques ont dû les reprendre dans leur bilan. »

Une autre forme de SPV sont les SIV (structured investment vehicles). « On en a créé pour 400 milliards de dollars », s’étonne Peter Praet, qui observe que le bilan de ces SIV ressemble en fait à celui de petites banques. D’un côté, on a toujours ces obligations triple A résultant de la découpe des crédits. De l’autre, les SIV émettent en contrepartie des papiers à moyen terme (medium term notes) mais aussi des « equity », des titres qui ressemblent à des actions, pour en moyenne 7 %. « Là, il y a de grands problèmes, constate Peter Praet. Car si la valeur des obligations triple A à l’actif du SIV chute de 3,5 %, l’equity perd 50 % de sa valeur. Comme aujourd’hui, les décotes sur les obligations triple A sont supérieures à 3,5 %, beaucoup de SIV sont obligés de vendre. Mais vendre dans des marchés peu liquides exerce une pression supplémentaire sur les obligations qui perdent encore davantage de valeur, ce qui contraint le SIV à de nouvelles ventes… C’est un cercle vicieux. Certaines banques ont finalement pris leur responsabilité et les ont réincorporés en bilan. Mais cela crée une nouvelle tension sur le marché des liquidités, car il faut financer ces reprises. » HSBC, Citigroup et d’autres ont repris sur leur bilan pour plusieurs dizaines de milliards de dollars de SIV.

Cela les a poussés à thésauriser leur liquidité, bloquant le fonctionnement du marché interbancaire, ce qui explique pourquoi les banques centrales ont, la semaine dernière, procédé, de manière concertée, à de grosses injections de liquidités. Et puis, on a encore inventé des véhicules plus instables, dont certains, basés sur des titrisations de titrisation, ont vu leur valeur tomber à zéro.

5 Quel risque pour les banques européennes ?

« On attend tous les résultats des banques au quatrième trimestre, note Peter Praet. Le degré d’exposition des banques européennes n’est pas facile à déterminer, car, comme on l’a vu, il n’est pas toujours facile de comprendre le risque : Une tranche triple A n’est pas une tranche double A, un subprime en Floride n’est pas un subprime au Nevada.

Un subprime de 2004 n’est pas un subprime de 2006… Mais ce qui est certain, c’est que cette exposition n’est pas de nature à créer un problème de solvabilité pour les banques européennes. » La crise fait mal. Mais elle ne devrait pas être mortelle.

Peter Praet : « De nombreux investisseurs n’ont pas compris la nature exacte du risque qu’ils prenaient. » © Arnaud De CremeR.


source : Publié le Samedi 22 décembre 2007 (No 298) dans Le Soir, page 26, édition Namur/Luxembourg.

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