mardi 21 octobre 2008

Fortis aujourd'hui, Dexia demain, KBC après-demain ?

A qui se fier aujoud'hui ? 

Travailler chez Fortis, ce n’est pas évident. Vous travaillez depuis une vingtaine d’années dans une agence, un business centre ou un département de crédit, où vous effectuez les opérations bancaires de base : collecter des dépôts, fournir des crédits, gérer les relations clientèle, faire des placements. Vous travaillez dur et votre département engrange des bénéfices. 

Vous êtes un employé loyal et vous avez souscrit aux nombreux plans d’actions de la banque et acheté, contre monnaie sonnante et trébuchante, des actions Fortis à un prix présenté comme avantageux. Sur toute la durée de votre carrière, cela représente des milliers, voire des dizaines de milliers d’euros. Cet investissement constitue l’essentiel de votre épargne mais vous y croyez. 

Si vous avez grimpé assez haut dans la pyramide des fonctions, vous participez même à un plan d’options, pour lequel vous avez payé des centaines d’euros d’impôt à titre de précompte sur la plus-value future. Comme vous possédez des actions, vous détenez également un warrant vous permettant de souscrire à des augmentations de capital, ce que vous faites sans hésiter, convaincu par l’ardeur de chacun au travail et la bonne marche des opérations. 

Ce sort, vous le partagez avec environ dix mille de vos collègues, qui comme vous ont acquis des actions Fortis au fil du temps. Vous êtes dans l’arène de la concurrence quotidienne entre les banques et vous donnez le meilleur de vous-même. 

L’achat d’ABN AMRO n’a rien à voir avec votre travail. Vous ignorez tout de la constitution très rapide d’un portefeuille de crédits structurés par un groupe de jeunes loups de la finance avantageusement rémunérés, qui, au printemps déjà, ont quitté le navire en perdition. 

Et soudain, c’est la dévissée financière. Le démantèlement de la banque, que préfigurait déjà son logo, s’accomplit au pas de charge. Vous ne pouvez qu’assister aux événements. 

Le vendredi 26 septembre, vous rassurez encore vos clients sur la solvabilité de la banque et sur sa position en liquidités ; le dimanche 28 septembre, elle est en partie nationalisée. Le vendredi suivant, le 3 octobre, vous espérez une reprise pendant la matinée mais, dans la soirée, vous entendez que le gouvernement néerlandais a nationalisé la partie néerlandaise du groupe pour éviter la ‘contagion’ par la partie belge. Et là encore, vous espérez que la partie belge saine tiendra le coup. Le dimanche 5 octobre, vous êtes bradé à BNP Paribas. Le mardi 14 octobre, comme vous aviez commencé à le soupçonner, il apparaît que le gouvernement vous a refilé une action sans valeur et qu’il a utilisé la crise pour acquérir en partie sur votre compte, un paquet d’actions de BNP Paribas. 

Que de coups de théâtre ! 

Vous vous sentez abusé et trompé par votre propre management et de surcroît plumé par le gouvernement. Vous êtes maintenant appauvri de plusieurs dizaines, voire de centaines, de milliers d’euros. Vous êtes en première ligne face à la colère des clients auprès de qui vous avez défendu les mensonges du management et vous êtes la risée lors des réunions entre amis. Peut-être n’osez-vous pas révéler à votre partenaire combien vous aviez réellement investi dans Fortis ou, plus grave encore, votre partenaire travaille aussi chez Fortis. 

Dans le pire des cas, vous pouvez désormais craindre pour votre emploi car, après l’intégration, BNP Paribas ne continuera certes pas à payer deux fois pour toutes les fonctions de support centrales. 

Avec vos actions, vous pourriez peut-être encore acheter un timbre-poste pour envoyer une lettre de plainte. Mais à qui ? 

Et pourtant, vous restez à la banque. Jour après jour, vous vous excusez auprès des clients pour des choses dont vous n’êtes en rien responsable et vous continuez à les servir mieux que jamais. Vous calmez l’inquiétude et la colère des déposants, qui n’ont peut-être pas perdu un cent, alors que vous, vous êtes quasi fauché. Encore tout étourdi par le choc, vous poursuivez vos efforts. Et s’ils s’avèrent efficaces, ils ne sont guère payés par une plus-value de vos actions, qui sont désormais aux mains du gouvernement. 

Vous détenez des parts d’une ‘structure de défaisance’ qui contient pour l’essentiel un paquet de crédits non financés de qualité incertaine et une entreprise d’assurances internationales, dont vous n’avez rien à faire. En fin de compte, vous faites partie des sauveurs de la banque. C’est la dépréciation de vos actions qui a, dans une certaine mesure, financé la recapitalisation de Fortis Banque, bien que personne ne vous en ait demandé l’autorisation. 

Cher Employé Fortis, je salue votre dévouement. Vous méritez une statue pour votre engagement, votre persévérance, votre courage et surtout votre loyauté dans les bons comme dans les mauvais jours. 

Cher Lecteur, la prochaine fois que vous vous rendrez dans votre agence Fortis, ne maltraitez pas les employés qui vous serviront. Témoignez-leur de la compassion. Ce sont eux qui tiennent la banque, alors qu’ils sont plus victimes que vous. 

Et si vous l’osez, embrassez-les. 

Koen Schoors, professeur d’économie à l’Université de Gand.

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