dimanche 26 octobre 2008

Resources Humaines

Le DRH doit devenir le fou du roi 

Pour Chris Verougstraete, la fonction de DRH doit revêtir une dimension éthique propre à faire de lui la conscience de l’entreprise.

Juriste et titulaire d’un MBA de la Vlerick Management School, Chris Verougstraete (58 ans) a derrière lui une longue expérience en tant que directeur des ressources humaines dans les plus grandes entreprises : Sabena, Monsanto, Alcatel, Alstom à Paris, Interbrew et Reuters à Londres…

Lui qui s’est arrêté il y a trois ans pour s’offrir un vieux rêve et reprendre des études de philosophie à la VUB, revient pour nous sur sa carrière et sa vision d’une fonction en pleine mutation.

Vous avez couronné votre carrière de DRH par le prix « UK Excellence in HR Change Management Award 2005 ». Dans quel contexte l’avez-vous remporté ?

C’est un prix d’excellence anglais comparable à l’élection du DRH de l’année par les professionnels, journalistes et consultants en Belgique. Nous avons reçu le prix pour le turnaround culturel et le rôle de support, catalyseur et moteur joué dans le processus de changement mis en oeuvre chez Reuters, qui était alors en grande crise. On a licencié 3 000 personnes, on en a engagé 1 500 et tous les systèmes RH ont été revus en fonction du défi que constituait la survie de la boîte. Un changement fondamental. Outre que culturel, le turnaround fut général : technique, commercial et financier. Suite à cela, le prix de l’action a quadruplé en deux ans !

Quels étaient les problèmes de Reuters?

Reuters a été une société très 'successful', très anglaise dans sa culture, impériale, arrogante, cérébrale, et qui a gagné un argent bête, jusqu’à ce que Bloomberg commence à lui manger son déjeuner et lui faire concurrence. Reuters n’avait pas l’habitude de penser client – eux savaient mieux que le client lui-même ce dont il avait besoin. Puis la bulle a éclaté, en 2002. Le cours est tombé en dessous de la livre, venant de 16. Il y avait réel danger pour la survie de la société. Le nouveau CEO, Tom Glocer, un Américain, a décrété qu’il fallait changer la culture. J’avais une expérience en gestion de changement, il m’a engagé.

Comment vous y êtes-vous pris ?

Même en période de licenciement collectif, on a continué à communiquer avec les travailleurs, leur demandant ce qu’ils pensaient du leadership et de la gestion de la situation. On a davantage outsourcé et entamé les activités en Inde et Thaïlande : une révolution. Nous avons également revu tous les systèmes de performance, de formation, de communication interne, de carrière, de rémunération, etc.. On a engagé des gens plus jeunes, moins arrogants, plus internationaux, notamment des Russes, des Indiens, des Thaïs, pas seulement des Anglais ou des Américains. Les index de satisfaction des clients et des employés ont tout de suite augmenté et le résultat s’est traduit dans le cours de l’action.

On préconise d’appliquer les recettes marketing à la gestion des ressources humaines. On parle d’ailleurs du personnel comme du«5e P ». Qu’en pensez-vous?

On peut gérer le personnel avec les 4 P du marketing. Le 'Produit' serait la construction de la « capabilité » humaine dans l’entreprise, c’est-à-dire le développement des talents, des connaissances et des attitudes. Le 'Prix' serait le système de récompense. La 'Place' correspondrait à l’organisation physique du travail (par exemple l'« open space ») et à l’organisation d’une hiérarchie très«aplatie ». La ‘Promotion' enfin représenterait la communication interne. Mais en raisonnant de cette manière, j’ai l’impression qu’on met trop l’accent sur l’aspect ressource: l’homme dans la société est beaucoup plus qu’une ressource qu’on recrute ou qu’on licencie comme un outil. Il est temps d’aller plus loin. Ainsi, je substituerais volontiers à 'Personnel' le terme 'Passion', qui sous-entend un réel engagement des hommes, au sens de ‘commitment’, en anglais. Kim Cameron, professeur à la University of Michigan, a mené une étude expliquant que les plus grands indicateurs du succès d’une société sont, en cascade, le cours de l’action, influencé par la profitabilité, elle-même soumise à la croissance des ventes, qui dépend à son tour de la loyauté et de la satisfaction des clients. Tout cela est bien clair dans le chef des entreprises et fort bien compris par le marketing. Mais la loyauté du client découle à son tour de l’engagement des ressources humaines, qui résulte quant à lui de la qualité du management. Le message de l’étude du Professeur Cameron était en substance que la plupart des organisations gèrent bien les quatre premiers indicateurs mais sous-estiment les deux derniers.

La fonction RH est-elle en crise ?

Aujourd’hui, il semble y avoir une discussion sur la valeur ajoutée de la fonction. Je trouve cela inquiétant. Même s’il y a de très bons DRH qui réalisent sans doute beaucoup de valeur ajoutée, ce n’est pas ce que reflète le sentiment général. Or je suis de ceux qui croient qu’on reçoit le respect qu’on mérite. Personne ne remet en cause la valeur ajoutée des directeurs financiers, marketing ou juridiques. Il faut donc croire que beaucoup de professionnels des ressources humaines ne délivrent pas le résultat attendu. A mon avis, la fonction se focalise encore trop sur des tâches traditionnelles, comme les relations syndicales ou la paie. J’ai eu un patron qui m’a dit : arrêtez d’organiser des exercices de groupe, où tout le monde est beau et gentil, mais sans rien de concret derrière. Quand on veut mériter le respect de ses collègues, il faut démontrer qu’on apporte une réelle valeur ajoutée à la fonction.

Que suggérez-vous aux DRH?

Je crois que la fonction RH doit se focaliser sur et s’impliquer dans la stratégie, qui est une responsabilité commune de l’équipe au top. Le DRH a pour première fonction de construire la « capabilité » humaine à réaliser la mission de l’entreprise, c’est-à-dire assurer au personnel la compétence, l’attitude, et mettre à sa disposition des moyens et du pouvoir. Cela veut dire que le DRH, et ce n’est pas souvent le cas je crois, doit participer à la construction du business dans lequel il travaille et s’impliquer dans la définition de sa stratégie. Il doit avoir voix au chapitre, car il va devoir communiquer et réaliser cette stratégie.

Les DRH sont-ils préparés au changement ?

Le DRH a pour mission vitale d’être le champion du changement, plutôt que d’être une fonction conservatrice ou le policier de la boîte, qui produit 1 000 excuses pour ne pas changer. Les DRH doivent changer eux-mêmes. La valeur ajoutée est à mon avis dans le«change management ». Le monde autour de nous change, on ne réalise pas à quelle vitesse. Avec la mondialisation, les meilleurs talents ont le choix et peuvent partir à l’international. Il faut vraiment qu’on offre quelque chose aux jeunes professionnels talentueux, qui dépasse le salaire. Il faut offrir un nouveau contrat social. On demande aux travailleurs de la passion et beaucoup de travail. Mais que leur offre-t-on en retour ? Quand j’étais chez Reuters, nous avons fait un contrat social clair. Nous avons dit au personnel : « nous ne pouvons pas vous garantir un emploi à long terme dans les conditions actuelles ; vous courez un risque si la société court un risque ; la société court un risque si vous ne travaillez pas à augmenter votre valeur ; votre valeur doit excéder votre coût ». En contrepartie, nous leur avons énuméré en dix points ce qu’on s’engageait à leur offrir : des attentes claires, de la dignité et du respect, un environnement sans harcèlement, des opportunités d’apprendre, des moyens en suffisance mis à leur disposition, une rémunération équitable, pas la plus haute mais mutuellement satisfaisante, un coaching, un feedback honnête, des conseils pour progresser, des opportunités d’avancement, pas forcément dans la hiérarchie, mais dans l’expansion des talents, et enfin une employabilité continue, c’est-à-dire l’assurance d’être meilleurs lors de leur départ qu’à leur entrée dans l’entreprise. Ça, c’est traiter les gens comme des adultes, sans promesses en l’air, mais avec un engagement clair vis-à-vis d’eux. On ne manageait plus par objectif, mais par résultats : tout était mesurable, quantifiable et intégré dans la réalité des choses.

Comment voyez-vous l’avenir et les défis du DRH?

Le DRH doit devenir un businessman: il doit comprendre qu’il est là pour réaliser le business de l’entreprise, pas pour se faire plaisir, ni faire plaisir aux employés ou aux syndicats. Il faut qu’il y ait une vraie orientation résultats. Je vois de plus en plus de ‘line managers’qui vont passer par la fonction DRH pour leur développement avant de devenir CEO. Le challenge pour eux est de vraiment s’impliquer dans la stratégie technique, commerciale, marketing, financière. De même, le DRH ne doit pas avoir peur de quitter sa fonction pour s’imprégner des autres. Ensuite, je crois que l’entreprise aura de plus en plus besoin à l’avenir d’une autorité morale et éthique. C’est une opportunité pour le DRH qui devrait devenir la conscience de l’entreprise. D’abord vis-à-vis du CEO : le DRH doit devenir le fou du roi, le type dans la société qui dit la vérité et qui ne sera pas le premier à être tué. Il doit ensuite devenir le porte-parole de la société environnante. Voyez les discussions à propos des compensations et des salaires des grands patrons. J’estime que le DRH ne joue pas son rôle. Il ne devrait pas être le sous-fifre, l’exécutant du patron, mais être créatif. Il y a actuellement une mauvaise gestion, une mauvaise communication, et trop de secrets. Le fait qu’on paie deux ou trois ans de salaire à un patron qui a échoué n’est pas éthique. Si l’organisation ne se régule pas elle-même, c’est la société qui va intervenir et limiter. Le DRH doit être le garde-fou contre les excès. Il doit avoir le pouvoir d’être en désaccord et de parler. Cela demande énormément de courage et c’est la raison pour laquelle cela ne se fait pas assez aujourd’hui. Mais l’aspect moral, éthique est essentiel et constitue une opportunité pour le DRH de demain._

Propos recueillis par Françoise Antoine

Source : L’Echo DU SAMEDI 25 AU LUNDI 27 OCTOBRE 2008

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