lundi 28 janvier 2008

Internet or not Internet ?

Qui a du courrier?

Au travail, le courrier électronique
et l'internet sont ouverts à tous

En quelques années, le courrier électronique et l'Internet ont transformé la manière de travailler dans bien des entreprises. Celles-ci ont découvert qu'elles disposaient désormais d'outils extrêmement puissants à la fois pour communiquer et pour obtenir de l'information. Mais que se passe-t-il lorsque la possibilité de «surfer en travaillant» devient plus alléchante que le travail lui même? Andrew Bibby examine les avantages - et les inconvénients - de cette révolution du monde du travail.

LONDRES - Aujourd'hui, cette phrase aurait pu être transmise à l'autre bout du monde en moins de temps qu'il n'en a fallu pour l'écrire. Les communications «escargots» qui se propageaient à la vitesse de l'avion, du bateau ou du train ont été remplacées par le courrier électronique, qui peut faire le tour du monde en un instant, alors qu'il fallait auparavant quelques jours, voire plusieurs semaines.

Comme le courrier postal, la télécopie, désormais considérée comme un moyen de communication désuet et lent, est pratiquement tombée dans l'oubli.

Dans les bureaux, les travailleurs sont devenus des « cyber-travailleurs », tous reliés à l'Internet depuis leur poste de travail.

Nous sommes donc à l'ère du cyber-bureau, rapide et efficace, mais aussi potentiellement source de multiples problèmes. En effet, si communiquer est devenu un jeu d'enfant, cela ne va pas sans conséquences.

Règles d'utilisation du courrier électronique

Le changement s'est produit si rapidement que les employeurs, les représentants des travailleurs et les travailleurs eux-mêmes en sont encore à se demander quelles règles devraient régir l'usage de ces technologies sur le lieu de travail. Par exemple, est-il acceptable qu'un salarié surfe sur l'Internet pendant ses heures de travail pour des raisons autres que professionnelles? Y a-t-il une différence entre consulter un site pour se renseigner sur des questions de santé et de sécurité ou sur les derniers résultats sportifs?

Et dans quelle mesure les employeurs devraient-ils avoir le droit de surveiller l'usage que leurs salariés font du courrier électronique et de l'Internet? Est-il acceptable, par exemple, qu'un employeur épluche les messages électroniques que tel travailleur envoie à son syndicat? La situation est-elle différente si l'existence de cette surveillance est connue de tous ou si celle-ci se fait en catimini?

Aux premiers jours de l'Internet, un certain laisser-faire était possible. Et de fait, certains employeurs ont encouragé leurs salariés à se familiariser avec la technologie, estimant que surfer pour le plaisir leur permettrait de se former et d'être ensuite plus productifs. D'autres entreprises adoptèrent une attitude souple pour la simple raison qu'elles n'avaient pas mis au point une ligne de conduite cohérente.

Cela est de moins en moins possible. Par exemple, on sait aujourd'hui que les employeurs peuvent être tenus responsables des messages électroniques transmis par leurs salariés. L'exemple peut-être le plus connu est celui du procès antitrust intenté aux États-Unis contre Microsoft, dans lequel le ministère de la Justice a utilisé des messages privés envoyés par Bill Gates, président de Microsoft, pour étayer ses poursuites contre l'entreprise.

Il y a eu des cas où la teneur de messages électroniques a été exposée au grand jour - et où les entreprises ont amèrement regretté que ces messages aient jamais été envoyés. Ainsi, un géant américain de l'industrie pétrolière a perdu un procès pour harcèlement sexuel et a dû verser 2,2 millions de dollars de dommages et intérêts à quatre travailleuses parce que les courriers électroniques internes ont révélé une culture d'entreprise machiste. Au Royaume-Uni, un grande compagnie d'assurance a été obligée de verser 450 000 livres (650 000 dollars) à un concurrent parce que son personnel a été reconnu coupable d'avoir envoyé des messages électroniques diffamatoires à propos de la compagnie rivale. Une autre cause de préoccupation pour les entreprises est que les adresses de courrier électronique utilisées sur les lieux de travail comportent habituellement leur raison sociale, ce qui donne l'impression que les messages électroniques sont d'une certaine façon des communications officielles. Cela a posé un grave problème à une entreprise suédoise dont un salarié a utilisé l'adresse électronique pour envoyer des messages de soutien à une organisation d'extrême-droite.

En outre, les messages électroniques risquent d'introduire des virus dans le réseau interne de l'entreprise. Ainsi, le virus Melissa aurait à lui seul coûté 80 millions de dollars aux entreprises nord-américaines. Le virus «iloveyou» a fait le tour du monde en quelques heures, infectant les systèmes d'une multitude de petites et grandes entreprises.

Contrôle du courrier et de l'Internet

Rien de surprenant, donc, à ce que les employeurs cherchent de plus en plus à réglementer l'usage du courrier électronique et de l'Internet et commencent à surveiller la manière dont leurs salariés utilisent ces technologies. Les meilleurs renseignements sur cette tendance concernent surtout les États-Unis où, depuis quatre ans, l'American Management Association (AMA) enquête chaque année sur la question. Selon cette association, le pourcentage de grandes entreprises américaines qui conservent et examinent les messages électroniques de leurs salariés a augmenté de 27% en 1999 à 38% en 2000, alors qu'en 1997, il n'était encore que de 15%.

Même chose à propos de l'usage de l'Internet. D'après l'AMA, un nombre encore plus grand d'entreprises américaines - environ 54% en 2000 - contrôlent désormais les sites auxquels se connectent leurs salariés.

À ces contrôles s'ajoute une augmentation des mesures disciplinaires prises à l'encontre des salariés supposés avoir enfreint les règles. Par exemple, en novembre 1999, le New York Times a licencié 23 membres de son personnel qui avaient envoyé par courrier électronique des plaisanteries et des photos pornographiques. L'été suivant, une banque d'affaires internationale s'est séparée de 15 salariés de sa filiale de Londres, également accusés d'avoir fait circuler des documents inconvenants par courrier électronique.

Cependant, ce type de mesures peut prêter à controverse, surtout dans le contexte des relations du travail. La compagnie aérienne Ansett a licencié l'une de ses salariées en l'accusant d'avoir «fait un usage inacceptable de la technologie». Cette femme, déléguée du Syndicat australien des services, avait transmis par courrier électronique à ses collègues un texte sur l'état d'avancement des négociations en cours entre la compagnie et le syndicat. L'affaire a été portée devant la Cour fédérale de l'Australie qui, en avril 2000, a statué en faveur de la salariée. Selon les juges, la compagnie aérienne avait contrevenu aux dispositions relatives à la liberté syndicale, prévues dans la loi sur les relations professionnelles en vigueur dans le pays.

Nouveau sujet de débat pour le monde du travail

Depuis quelques années déjà, les syndicats réfléchissent aux questions de fond soulevées par ce genre d'affaires. La Fédération internationale de syndicats FIET (qui fait désormais partie de l'Union Network International - UNI) a été l'une des premières à réagir en lançant au début de 1998 une campagne pour la défense des droits des cyber-travailleurs. L'UNI, qui a repris la campagne, a participé à l'organisation, à la fin de l'année dernière à Bruxelles, d'une conférence internationale sur le sujet.

Pour l'UNI, la question recouvre plusieurs aspects à la fois distincts et interdépendants. Premièrement, il relève un problème de liberté syndicale, considérant que, dans un monde du travail de plus en plus tributaire de l'électronique, les organisations de travailleurs devraient avoir de droit accès aux moyens de communication électroniques pour s'adresser à leurs membres et à des membres potentiels, dans le cadre du processus normal des relations professionnelles. Selon Philip Jennings, Secrétaire général de l'UNI, «les syndicats connaissent bien les avantages des nouvelles technologies et savent que sur les cyber-lieux de travail, les anciens modes de communication avec les salariés ne sont peut-être plus les mieux adaptés».

L'OIT a traité la question des services dont doivent disposer les représentants des travailleurs en 1971 dans la convention no 135 et la recommandation correspondante. Aux termes de cette recommandation, les syndicats devraient avoir le droit, par exemple, d'afficher des avis et de distribuer des bulletins d'information et des publications destinés aux travailleurs. L'UNI estime que ces droits doivent s'étendre aux moyens de communication électroniques, d'autant plus qu'avec les nouvelles formes de travail telles que le télétravail, les travailleurs sont de moins en moins regroupés dans un lieu central. L'une des revendications que formule l'UNI dans sa campagne pour les droits des cyber-travailleurs est que les syndicats, les comités d'entreprise et les travailleurs eux-mêmes puissent utiliser les messageries électroniques des entreprises pour les relations du travail. Il revendique aussi le droit pour les salariés d'accéder aux sites Internet des syndicats et à d'autres sites qui traitent de leurs droits au travail.

Les organisations syndicales de certains pays se sont à leur tour saisies de ces questions. En Afrique du Sud, par exemple, le Congrès des syndicats sud-africains (COSATU) a adopté en août 1999 une déclaration par laquelle il s'est engagé à «lancer une campagne spéciale pour obtenir que, sur tous les lieux de travail, chaque délégué syndical ait dûment accès à un ordinateur, à l'Internet et à un service de messagerie électronique». La même exigence figure désormais dans la Charte des droits des délégués syndicaux, adoptée par le Conseil australien des syndicats (ACTU).

Mais l'UNI a également soulevé une question plus fondamentale: la cyber-surveillance (le «cyber-espionnage» pour les plus critiques) peut-elle constituer une ingérence inacceptable dans le droit des individus au respect de leur vie privée. Lors d'une récente conférence, la juriste Gillian Morris a déclaré que si la protection des intérêts légitimes des employeurs pouvait, certes, justifier une certaine intrusion, celle-ci ne devrait pas s'étendre au-delà d'une zone inviolable de respect de la vie privée des salariés.

Vers une solution

Certains pays recherchent actuellement une solution dans le cadre de la législation sur la protection de la vie privée. Aux Pays-Bas, l'organisme qui s'occupe de cette législation a publié en janvier un avis reconnaissant aux employeurs le droit de vérifier l'usage que font les travailleurs du courrier électronique et de l'Internet à condition que des règles précises soient préalablement portées à la connaissance de tous. Le ministère allemand du Travail a annoncé son intention de faire passer une loi sur la protection des données concernant les salariés. Au Royaume-Uni, les employeurs ont reproché au code de bonne pratique que le commissaire à l'information est en train d'élaborer d'être trop strict.

L'accès aux moyens électroniques et son contrôle donnent également lieu à débat entre les partenaires sociaux eux-mêmes. Plusieurs syndicats dont le GPA en Autriche, le FNV aux Pays-Bas et le MSF au Royaume-Uni, ont élaboré des accords-types sur l'utilisation du courrier électronique et de l'Internet. Celui du FNV, par exemple, préconise que les salariés aient le droit d'utiliser le courrier électronique et l'Internet à des fins non commerciales «à condition que cela n'interfère pas avec leur travail quotidien» (à noter toutefois que le droit de consulter délibérément des sites pornographiques ou racistes est expressément exclu). En France, le syndicat des multimédias, Betor-Pub CFDT, a négocié avec la société OLSY un accord en vertu duquel les syndicats ont le droit d'utiliser la messagerie électronique interne pour communiquer avec leurs membres.

Selon un récent rapport de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) de ce pays, le bon sens peut aider à établir une charte d'usage équitable et efficace de la messagerie électronique et de l'Internet *. La CNIL propose une méthode relativement souple consistant, par exemple, à autoriser l'utilisation des moyens de communication électroniques à des fins privées, dans la mesure où cela n'entrave pas l'usage professionnel normal de ces moyens. Selon elle, l'interdiction de tout message électronique privé ne serait pas réaliste.

La CNIL estime que les entreprises devraient élaborer des directives claires et précises sur la sécurité et la surveillance et en informer les salariés. L'analyse de l'usage qui est fait de l'Internet par les travailleurs devrait être proscrite, sauf cas exceptionnel. Il serait légitime que les employeurs interdisent la consultation de certains sites tels que les sites pornographiques ou négationnistes.

Malgré ces faits nouveaux, il pourrait bien devenir de plus en plus difficile au cours des cinq prochaines années de définir ce qu'est une bonne pratique dans ce domaine des relations professionnelles et de la législation du travail. La technologie évolue: les salariés auront de plus en plus la possibilité d'envoyer des messages électroniques et de surfer sur le réseau sans être à leur bureau, à l'aide de leurs téléphones portables, alors que ces mêmes téléphones permettront à leurs employeurs de savoir exactement où ils se trouvent à tout moment. Parallèlement, de nouveaux modes de travail sont en train de voir le jour, qui estompent de plus en plus la ligne de démarcation entre vie privée et vie professionnelle. Tout cela renforce la nécessité de prévoir une réglementation équitable et sensée de l'utilisation des moyens de communication électroniques par les travailleurs.

Andrew Bibby est journaliste, spécialiste des questions concernant l'Internet.


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* On peut consulter ce rapport à l'adresse: www.cnil.fr/thematic/docs/entrep/cybersurveillance.pdf

source : OIT Organisation Internationale du Travail



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