mardi 25 mars 2008

Le sommet de l'iceberg ou l'aiguille dans la botte de foin ?


La Société générale a contrôlé 75 fois son trader pour rien

Les supérieurs de Kerviel lui avaient même conseillé de ''placer'' ses gains de 1,4 milliard.

Et ils avouent, dans un rapport interne, n'avoir rien compris à ses multiples opérations.

DANS les premiers jours de. janvier 2008, Eric Cordelle, son chef de service, passe un coup de fil à Jérôme Kerviel. «J'ai vu que tu avais plus de 1,4 milliard en trésorerie depuis quelques jours ,tu as bien pensé à les placer? », demande-t-il à son trader. Et celui-ci le rassure aussitôt.

L'épisode, révélé lors de la confrontation entre Kerviel et Cordelle, le 6 mars, dans le bureau du juge Renaud Van Ruymbeke, montre qu'à l'évidence la hiérarchie du petit trader avait connaissance de l'incroyable «matelas" de plus-values que celui-ci avait constitué. Son chef de service s'est-il au moins soucié de savoir d'où provenait ce magot? «Je ne l'ai pas demandé à Kerviel, a-t-il répondu au juge. Les seules consignes que j'avais de ma direction étaient de m'assurer que la trésorerie des traders soit correctement placée. »

Pour leur défense, les responsables de la Générale affirment que Kerviel (libéré le 18 mars) leur avait expliqué avoir monté des opérations fictives - déficitaires, elles - à hauteur de 1,4 milliard, qu'il allait falloir éponger dans les semaines à venir. Le magot ne faisait donc qu'un passage provisoire dans sa « cagnotte" et ne pouvait être comptabilisé comme bénéfice. Et la Société générale a gobé tout ça...

Rapport assassin

Seul problème-: jamais les activités de Kerviel - un trader cantonné aux opérations à faible rendement- n'auraient du l'amener à manier de tels montants. Et la situation ne datait pas d'hier: au 30 juin 2007, Kerviel perdait 2 milliards, mais, en août, il avait redressé la barre, gagnant 500 millions d'euros. La pelote n'avait ensuite cessé de grossir, sans que personne s'en étonne.

Ce n'est pas faute de vérifications: selon le rapport interne, publié, le 20 février, par l'Inspection générale de la banque, 75 contrôles - pas un de moins - ont été menés entre janvier 2007 et janvier 2008, à la suite d'anomalies constatées dans les opérations de« GOP 2A", le code informatique de Kerviel. Ils sont tous restés sans lendemain, sauf le dernier, le 18janvier, qui a déclenché l'affaire.

Ainsi, en avril 2007, 1'« agent contrôleur41 » - dans le jargon du rapport de la Générale - remarque que deux comptes de « GOP 2A " ont pris brutalement des proportions gigantesques pour atteindre 50 milliards. Pourquoi s'émouvoir pour si peu ! En mai 2007, « GOP 2A »fait une opération un samedi, jour de fermeture des marchés. L'«agent contrôleur 30» l'interroge à ce sujet et avale ses explications, sans «s'assurer de la véracité des informations ». Qui; évidemment, n'en ont aucune.

Abonné absent

Juillet 2007, 1'«agent contrôleur 29 " découvre que deux opérations du trader, d'un montant de 7 milliards, sont «fictives ». Les éclaircissements de Kerviel« manquent de vraisemblance », mais la « hiérarchie, prévenue, n'a pas réagi », note sobrement le rapport. Une autre fois, 1'«agent 30» essaie d'en savoir plus, mais elle avoue «n'avoir pas compris l'explication» donnée par Kerviel. Des alertes non suivies d'enquêtes, il y en a comme ça sur neuf pages. _ _

Le service comptable de la banque ne s'est pas ému davantage de n'avoir jamais signé le moindre chèque pour couvrir les opérations fictives déficitaires de Kerviel. Aucune question, non plus, sur l'origine des bénéfices réalisés - officiellement- par Kerviel: 55 millions en 2007, soit plus de la moitié de ce qu'a engrangé son service, et plus que les sept autres traders qui y travaillaient avec lui. De même, les dizaines de millions d'euros de commissions versées à la Fimat – pourtant une filiale de la Générale – qui réalisait l’essentiel des opérations du trader, n'ont pas déclenché le tocsin.

Calme plat, donc, jusqu’a la lettre d'alerte de la chambre de compensation allemande Eurex, signalant que Kerviel, autorisé à acheter au plus 200 ou 300 « contrats DAX~) (titres représentatifs de l'indice boursier de Francfort), venait d'en acquérir 6 000 (pour 1,2 milliard) en deux heures. Adressée personnellement, le 26 novembre, au chef de service du trader, Cordelle, cette note ne sera même pas lue par son destinataire. « Je n'ai rien vu, je reçois 200 à 300 mails par jour », a-t- il expliqué au juge. Evidemment...

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Un ancien supérieur de Kerviel, Alain Deklerk, qui a quitté son poste au printemps 2007, au moment où le trader a commencé à mener des .opérations à grande échelle, ne s'est pas montré tendre. « Si quelqu'un avait vraiment regardé dans les comptes de Kerviel, a-t-il déclaré au juge le 13 mars, il aurait tout de suite compris.» C'est ce qu'a confirmé Kerviel aux enquêteurs, selon l'ouvrage de Pierre- Antoine Delhommais, « Cinq milliards en fumée" (Seuil) : « Tout contrôle correctement effectué était à même de déceler ces opérations. »

Encore fallait-il savoir compter!

Hervé Martin

source : Le Canard enchaîné du 19 mars 2008

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