mercredi 24 octobre 2007

COURRIELS ET SECRET DES CORRESPONDANCES PRIVÉES

Par le biais de son nouveau service de messagerie électronique «Gmail» la société « Google » se propose d’analyser le contenu des courriels afin d’y insérer des publicités ciblées, et ce faisant violer le secret garanti aux correspondances privées. En effet, le courriel peut accéder à la qualification de correspondance à caractère privé (I) et à ce titre jouir de la protection, assurée par la loi 91-646 du 10 juillet 1990[1] en l’absence d’atteinte à la vie privée.(II)



I. Certains courriels peuvent accéder à la qualification de correspondance à caractère privé

La loi 91-646[2] a vocation à garantir le secret des correspondances privées émises par voie de télécommunication. Il convient donc de déterminer si un courriel est une correspondance (A) privée (B).

A. Le courriel est une correspondance.

L’accession du courriel au statut de correspondance n’est pas aussi évidente qu’elle peut le paraître. En effet, le « Vocabulaire juridique » de l’association Henry Capitant[3] définit la correspondance comme un « échange de lettres ou d’autres messages assimilés (telex, télégrammes) » et le secret s’y rapportant comme « la protection des objets confiés à la poste… ». Le courriel n’est alors peut être pas totalement exclu de la catégorie des correspondances puisqu’il peut être considéré comme un « message assimilé », mais ne semble pas pouvoir bénéficier du secret dans la mesure où il n’est pas un « objet confié à la poste ». Ces définitions ne semblent guère adaptées à l’usage social du courrier électronique.

Fort heureusement, la décision du tribunal correctionnel du 2 novembre 2000[4] est venue éclaircir le statut du courrier électronique en confirmant l’assimilation du courriel à l’échange épistolaire.

Dans cette affaire, un étudiant se plaignait d’une atteinte au secret des correspondances privées à la suite de l’altération et de la disparition de ses courriers électroniques. Pour le tribunal, il ne fait pas de doute que les courriels sont des correspondances : «le terme " correspondance " désigne toute relation par écrit existant entre deux personnes identifiables, qu’il s’agisse de lettres, de messages ou de plis fermés ou ouverts. » et « (…) ont manifesté sans équivoque leur volonté (…) de prendre connaissance par surprise des correspondances contenues dans la messagerie électronique de(…) ».

Si cette décision émane d’une juridiction de première instance, elle n’en reflète pas moins l’usage social de cet outil.

Les courriels étant des correspondances, celles-ci ont-elles un caractère privé ?



B. Dans quelle mesure les courriels sont-ils des correspondances privées ?

Les correspondances sont traditionnellement appréhendées par le biais d’une distinction entre les messages émis par voie de télécommunication ayant un caractère privé et ceux émis par voie de communication audiovisuelle constituant des communications au public.

La loi 86-1067 du 30 septembre 1986[5] définit successivement les deux notions :

«On entend par télécommunication toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature, par fil, optique, radio-électricité ou autres systèmes électromagnétiques.

On entend par communication audiovisuelle toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ».

Le cas des courriels peut donc s’analyser comme une utilisation du réseau Internet à des fins de télécommunication, alors même que celui-ci est suceptible de constituer un moyen de communication audiovisuelle. Rien ne s’oppose alors techniquement à ce que le courriel puisse être considéré juridiquement comme étant susceptible de constituer une correspondance à caractère privé dès lors qu’il satisfait aux autres conditions du caractère privé.

Le tribunal d’instance de Puteaux du 28 septembre 1999[6] précise ces conditions : « Il y a correspondance privée lorsque le message est exclusivement destiné à une ou plusieurs personnes, physiques ou morales, déterminées et individualisées. ».

Dans le même sens et appliqué aux courriels, le jugement du 2 novembre 2000[7] affirme que la correspondance « est protégée par la loi, dès lors que le contenu qu’elle véhicule est exclusivement destiné par une personne dénommée à une autre personne également individualisée, à la différence des messages mis à disposition du public ».

Cette défintion rend éligible à la protection par le secret des correspondances privées les courriers électroniques dont l’émetteur et le récepteur sont identifiés ou individualisés. Le tribunal correctionnel de Paris s’empresse alors de préciser la distinction.
Le message : « …s’adresse à une personne individualisée, si son adresse est nominative, ou déterminée, si son adresse est fonctionnelle, le destinataire final du message n’étant pas précisé en ce cas, mais son récepteur ayant qualité pour recevoir ledit message,
… est personnalisé en ce qu’il établit une relation entre l’expéditeur et le récepteur, laquelle fait référence à l’existence d’un lien les unissant qui peut être familial, amical, professionnel, associatif, etc. »[8]

Si tous les courriels ne sont pas des correspondances à caractère privé, il n’en reste pas moins au terme de cette analyse, que bon nombre d’entre eux le sont et bénéficient à ce titre de la protection par le secret au titre de la loi 91-646[9].




II. La protection des courriels au titre du secret des correspondances privées a un fondement autonome de la vie privée .

A. La protection des courriels au titre du secret des correspondances privées.

L’article 1er de la loi relative à la liberté de communication consacre le secret des correspondances privées : « Le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications est garanti par la loi. Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l'autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d'intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci ».

Il ne peut dès lors y être porté atteinte que si l’interception est ordonnée par l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article 100 du code de procédure pénale, ou si elle a fait l’objet d’une autorisation écrite du premier ministre dans les conditions des articles 3 et suivants de la loi[10].

C’est dans ce contexte normatif que la société « Google » se propose d’analyser le contenu des courriels afin d’y insérer des publicités ciblées.

Il ne s’agit pas seulement d’analyser le contenu de courriels susceptibles d’être protégés par le secret des correspondances privées, mais éventuellement de les reproduire et de les stocker comme l’indique clairement sa charte de « protection » de la vie privée :

« Residual copies of email may remain on our systems, even after you have deleted them from your mailbox or after the termination of your account»[11] (des copies résiduelles des courriels peuvent demeurer sur nos systèmes, même après les avoir effacés de votre messagerie électronique ou après la clôture de votre compte).

Dès lors, cette analyse des courriels se heurte de plein fouet au secret des correspondances privées.



B. Ne pas confondre protection de la vie privée et secret des correspondances.

La « Foire aux questions » du service «Gmail» met en avant le fait que les courriels ne sont ni accédés par un être humain, ni communiqués aux annonceurs[12] :

« No humans read your email to target the ads, and no email content or other personally identifiable information is ever provided to advertisers». (Aucun humain ne lit vos courriels afin de cibler les publicités, ni le contenu des messages, ni d’autres informations à caractère personnel permettant l’identification ne sont transmis aux annonceurs).

Par cet argumentaire « Gmail » semble essayer de se justifier au regard de la protection de la vie privée, et plus précisément de la protection des données personnelles.

Or, la confidentialité des courriels est assurée par le secret des correspondances privées issu de la loi 91-646 du 10 juillet 1991[13] et non sur le fondement de la protection de la vie privée consacrée par l’article 9 du code civil.

Par conséquent, le plaignant n’aura pas à rapporter la preuve d’une atteinte à sa vie privée ou aux droits garantis par la loi de 1978[14] mais celle d’une violation de la confidentialité de sa correspondance privée. Le fait que l’interception soit réalisée par des robots permet d’atténuer le risque d’atteinte à la vie privée, mais suffit néanmoins à caractériser une interception de correspondance privée sanctionnée par les articles 226-15 et 432-9 du code pénal. .

L’état de l’art ne permettant pas de distinguer un courriel constitutif d’une correspondance privée d’un autre et les stipulations contractuelles étant encore insuffisamment claires et précises, il semble que pour le moment, le service « Gmail » soit promis à bel avenir judiciaire. Il illustre également, la tendance actuelle qui tend à faire fie des lois territoriales au détriment des droits des personnes. Si la libre circulation de l’information est aujourd’hui une réalité, les systèmes juridiques peinent encore à s’entendre à l’échelle mondiale sur des questions jusqu’alors pétries de valeurs sociales mais présentant aujourd’hui un intérêt économique de plus en plus important.

source : http://www.droit-ntic.com/news/afficher.php?id=222

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