dimanche 16 novembre 2008

¡caramba!

Un "Robin des bois de la brique" espagnol promet des logements "à prix coûtant"

MADRID CORRESPONDANT

Le long de l'avenue de la Hispanidad, principale artère de Fuenlabrada, une commune de la banlieue sud de Madrid, la piste cyclable est sacrément embouteillée.

Depuis cinq jours, on n'y circule plus, on y campe. Des centaines de personnes ont installé leur tente devant le siège de l'association de quartier La Avanzada, dans l'attente du jour J et de l'heure H. Samedi 15 novembre, à 10 heures précises, commencera la distribution des 2 100 logements que le président de l'association, promoteur immobilier de son état, entend vendre "à prix coûtant".

José Moreno, connu dans la région comme"le bâtisseur des pauvres" ou "le Robin des bois de la brique", a détaillé son projet, dimanche 9 novembre, dans le quotidienABC, expliquant que les premiers arrivés seraient les premiers servis. D'où la ruée vers Fuenlabrada. Les premiers sont venus en voisins, le temps de replier leur journal et de récupérer la toile de tente au fond du grenier. Les suivants ont dévalisé le rayon camping du Décathlon tout proche. A quelques heures de la mise en vente, des candidats à l'accession à la propriété convergent encore de toute l'Espagne.

"Dès que j'ai entendu la nouvelle, j'ai foncé, je suis là depuis lundi à 2 heures du matin", confie Luis Alberto Rosa, tout heureux d'être le numéro 325. "La nuit c'est vraiment dur, à cause du vent glacial, mais ça vaut le coup", explique ce "métallo" au chômage de 22 ans. Bien que célibataire et peu fortuné, il ne conçoit pas de quitter ses parents pour une simple location.

Le projet est identique pour Cathaysa et Nerea, deux étudiantes de 19 et 21 ans, qui bivouaquent plus loin, dans le parc public, avec les numéros 1240 et 1241 : "Quarante millions pour un appartement qui en vaut quatre-vingts sur le marché, c'est vraiment une aubaine", s'enthousiasment-elles. Ainsi va la jeunesse espagnole, qui compte en pesetas et se rêve en propriétaire.

L'offre de José Moreno est limitée aux primo-accédants de 18 à 35 ans et aux divorcés. "Ce sont les plus touchés par la hausse des prix des dernières années, et maintenant par la raréfaction du crédit", explique ce sexagénaire à qui la barbiche grisonnante et la casquette donnent de faux airs de Lénine. C'est la quatrième opération du même type pour ce militant du logement bon marché. Cette fois, il se lance sur une très grande échelle. Les appartements de deux, trois ou quatre chambres sont à 120 000 ou 168 000 euros. Son secret ? Une marge "ridicule", qui ne dépasse pas 3,5 %.

Samedi, les acquéreurs potentiels devront justifier de leur identité et payer 120 euros comme droit d'entrée dans la coopérative immobilière qui sera constituée pour l'occasion. Ensuite, patience. Les appartements n'existent pas encore, les terrains n'ont même pas encore été achetés. Mais, promet Raul Moreno, le fils de "Robin des bois", "les premiers chantiers devraient démarrer d'ici trois ou quatre mois". Avec d'autres membres de l'association, dont le pull orange proclame "Un logement digne pour un prix juste", il passe d'une tente à l'autre, expliquant sans relâche les détails de l'opération.

CRI DU COEUR

Le serpent multicolore des guitounes s'étire maintenant sur deux bons kilomètres. Les jeunes se sont regroupés par numéros, ont organisé des tours de garde. Comment imaginer qu'une simple canadienne puisse abriter toute la "tribu 903 à 922" ? A quelques mètres, un homme seul veille sur un emplacement intitulé "Groupe 1 005 à 1 024". Au bas de la feuille punaisée sur un tronc d'arbre, une main rageuse a ajouté : "Putain de crise".

Ce cri du coeur, Alicia Ricard le partage. Cette femme promoteur vient de remonter toute la file en distribuant ses prospectus. Elle a six appartements à vendre, à dix minutes de là. Les prix sont proches de ceux de Moreno : "J'ai dû les baisser de plus de 20 % depuis le début de l'année", dit-elle. "Et mes appartements ont le mérite d'exister", grince-t-elle, rappelant qu'il y a dix ans une expérience similaire de coopérative a fini en énorme scandale.

Jean-Jacques Bozonnet

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