mercredi 5 novembre 2008

Rebelles ?

«LA RÉBELLION DES CADRES EST UN ACTE CRÉATIF»

Ils s’opposent, contestent et défi ent leur hiérarchie. Jean-Claude Thoenig, sociologue des organisations et directeur de recherches émérite au CNRS, est allé à la rencontre de ces cadres rebelles. Résultat: une enquête approfondie sur les «cols blancs» qui, malgré les apparences, n’ont rien du militant révolté. Mais sont porteurs d’un message parfois plus constructif qu’il n’y paraît.

Qui sont ces cadres rebelles?
Avez-vous observé des caractéristiques communes? Ces contestataires se retrouvent à tous les niveaux de responsabilité; ce sont des salariés ordinaires, hommes et femmes, dévoués à leur travail. Ils ont généralement entre 30 et 45 ans, l’âge auquel se présentent des perspectives d’ascension de carrière. Ils se distinguent par un pedigree impeccable, sont considérés comme compétents, à haut potentiel, souvent très conformistes. Seulement, à un moment précis, la barrière qui isolait jusque-là leur sphère publique professionnelle de leur sphère privée, morale et émotionnelle, s’est effondrée. Loin de vouloir faire table rase de leurs sociétés, les cadres rebelles ne sont ni motivés par des revendications salariales ni par des considérations idéologiques teintées d’anticapitalisme. Il ne s’agit donc pas de révolutionnaires qui s’ignorent… Ce qui rend le choc d’autant plus fort du point de vue managérial.

Quelles sont les racines de ce malaise?
Les cadres se rebellent parce qu’un jour, sans qu’ils s’y attendent, ils sont mis face à une décision de la hiérarchie qu’ils n’endossent plus. Soit parce que cette décision leur paraît contraire à des valeurs qu’ils portent, soit parce qu’ils prennent conscience de la duplicité de l’entreprise. On mesure alors brutalement le décalage entre le discours affiché par le management et ses pratiques discrétionnaires ou manipulatoires. Le cadre entre alors en désobéissance. Mais aux yeux de certaines entreprises, afficher son désaccord s’apparente à un crime.

Si ces rébellions ne sont pas idéologiques, quelle est leur finalité?
La rébellion est orientée contre un style de management jugé «technocratique », basé sur le chiffre et la relation à distance, entre le subordonné et la hiérarchie. Entrer en rébellion ne relève pas de la partie de plaisir. L’expérience est lourde et laisse des cicatrices durables.
Pour le rebelle: remise en cause de son identité, de sa carrière et de son emploi. D’aucuns modifient totalement leur itinéraire de vie.
Pour l’entreprise: risque de voir partir les cadres jugés jusque-là les plus prometteurs. Mais en même temps, la contestation est une occasion unique de produire des changements.
C’est un acte créatif, porteur de nouvelles formes de culture professionnelle, d’organisation et de pouvoir au sein de l’entreprise. Car se développe un argumentaire de la part du rebelle, qui déplace le problème sur un débat de fond. Les contestataires rappellent aux entreprises qu’elles ne peuvent pas violer impunément la sphère privée de leurs cadres et faire fi de l’environnement social, culturel et moral dans lequel ils sont insérés. C’est une occasion de faire revenir la société dans l’entreprise.

Y-a-t-il réellement une place pour l’échange au sein des entreprises?
Oui, certaines multinationales favorisent l’écoute du débat. Elles ont adopté un management «polyarchique », dans lequel la communication est rétablie, et la contestation des cadres – avec leur vision alternative – est écoutée, voire même encouragée. Elles en font même une règle implicite: si un subordonné estime avoir une bonne idée et qu’elle n’est pas en ligne avec l’approche du management, il est de son droit et de son devoir de se battre pour la vendre. Quitte à court-circuiter son supérieur. Avec des arguments.

Propos recueillis par RAFAL NACZYK
(source : références)

“Quand les cadres se rebellent”, Jean-Claude Thoenig et David Courpasson, Ed. Vuibert, 2008, 192 p., 19 euros.


source : Références.be

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