jeudi 25 décembre 2008

Le bout du chemin ...

Quand la maladie donne un préavis

Dans le film “Sans plus attendre”, Jack Nicholson et Morgan Freeman reçoivent tous deux un diagnostic qui va bouleverser leur vie : ils n’en ont plus pour très longtemps à vivre. Alors les deux hommes décident d’établir une liste « de choses à faire sans plus attendre » plutôt que de continuer à être les cobayes d’un hypothétique traitement miracle : sauter en parachute, faire un safari, embrasser la plus belle fille du monde…

Dans cette liste du dernier espoir, aucune trace du mot « travail ». Etonnant ? Et nous, aurions-nous encore envie de travailler si l’on nous annonçait une maladie grave, c’est-à-dire une maladie dont l’issue serait très probablement un handicap lourd, ou la mort prochaine ? La réponse n’est pas simple et dépend de chaque individu, de ce que représente le travail dans sa vie, de la manière dont il y est investi, mais aussi de sa situation sociale et financière. Un salarié et un indépendant ne verront certainement pas les choses de la même manière…

En tout cas, les gens qui décident de « tout plaquer pour faire le tour du monde » sont apparemment peu nombreux, ne fût-ce que pour des raisons économiques. « Lors de l’état de choc qui suit l’annonce d’un diagnostic grave, il est clair que le travail passe complètement à l’arrière-plan et le relationnel prend plus de place », commente Vincent Baro, coordinateur de l’accompagnement psychologique des diagnostics graves au sein du CHC de Liège et également président de la Fédération wallonne des soins palliatifs. « Ensuite, quand il s’agit de cancer par exemple, l’oncologue propose toujours un arrêt de travail car le traitement est lourd. »

En général les médecins tablent alors sur un arrêt de travail d’environ un an. Mais tous les patients ne vont pas se conformer à cet avis. « La grande majorité des patients que nous rencontrons sont des personnes qui travaillent pour des raisons alimentaires. Elles vont alors en général se conformer au système de prise en charge et à la thérapie. Le travail représentera ensuite un retour à la vie normale. »

Par contre, il y a aussi toute une série de patients qui ne veulent, ou ne peuvent pas arrêter de travailler très longtemps. « Souvent par exemple, les indépendants qui ont construit leur propre activité ne tiennent pas compte du certificat, poursuit Vincent Baro. Ceux-là continuent de travailler et se plaignent d’ailleurs peu des effets secondaires du traitement. »

D’autres patients demandent un break dans le certificat pour des raisons plus « calculées » : encore quelques jours à prester pour obtenir une prime ou pension, par exemple. Les raisons de continuer à travailler peuvent ainsi être purement économiques, mais aussi beaucoup plus profondes, liées aux valeurs du malade. En fait, selon Vincent Baro, tout dépend de la manière dont chacun a organisé sa vie. « Si les personnes fonctionnent sur un mode de la maîtrise, très organisé, avec une vie sociale et une vie active bien remplies, dès lors qu’on les prive de la caractéristique d’être actives, elles vont avoir beaucoup de mal à vivre leur traitement.»

Pour certains, retourner au travail est un mécanisme d’adaptation, voire de défense, car la maladie est comme une atteinte à la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes. « Ne plus travailler est une sorte de mort clinique. Dans ce cas, je pose à l’oncologue la question de la reprise des activités car le travail a presque une valeur thérapeutique.»

LILIANE FANELLO
(source : références)

«J’AI PRIS UN PEU DE DISTANCE»
VINCENT KEUNEN, 44 ANS

Il est ingénieur en informatique et dirige sa propre société. La maladie a bouleversé sa vie à deux reprises: d’abord en mars 2007, quand on lui découvre une leucémie myéloïde chronique. «Une maladie dont on ne réchappe pas mais qui évolue lentement », lui dit-on. Mais il a de la chance: un médicament existe et va permettre de stopper sa maladie avec peu d’eff ets secondaires. Vincent reprend donc très rapidement une vie normale et continue à gérer son entreprise. «Mes collaborateurs ont assez bien réagi. Ma maladie ne semble pas les avoir eff rayés outre mesure, alors que j’étais quand même le patron de la société.» Mais en mai 2007, c’est un nouveau coup de massue: son fi ls de 11 ans est atteint d’un cancer des os. «Cette nouvelle a été beaucoup plus dure. Quand c’est son enfant, c’est nettement pire, d’autant qu’ici, les risques étaient vraiment très élevés pour lui.» Là, Vincent commence sérieusement à se poser des questions sur la viabilité de son entreprise. Après réfl exion, il décide de continuer, et de négocier des accords avec sa clientèle de façon à pouvoir arrêter de travailler quelques mois sans que sa société ne vole en éclats. Maintenant que son fi ls va mieux, il a repris son boulot normalement. Enfi n presque… «D’un point de vue psychologique et organisationnel, les choses ont changé. J’ai d’abord décidé de trouver deux partenaires pour ne plus être la seule locomotive. Ensuite, il est clair que j’ai pu me détacher très fort de mon boulot. Avant, j’étais fort touché par les problèmes professionnels, par la crainte de ne pas faire assez de chiff re. Pourtant, je pense que j’avais déjà assez de détachement, contrairement à d’autres indépendants et fi ls d’indépendants.» Vincent ne cherche pas «à devenir une grosse boîte». «Même si je sais que cela fait sourire certains, j’ai fait en quelque sorte un choix de non-croissance, ou de croissance limitée. Ce qui m’intéresse, c’est de développer et améliorer la rentabilité, mais pas de croître absolument. Mes rapports aux clients ont également changé. Avant, j’étais très attaché à satisfaire le client jusqu’à parfois des exigences qui me paraissaient excessives. Maintenant je peux dire non aux excès.» Enfi n, Vincent a désormais pris l’habitude de se fi xer des «rendez-vous avec luimême ». «Je bloque dans mon agenda des plages pour moi et ma famille.»

L.F.

«LE TRAVAIL ME NOURRIT»
YSABEL DEBRUYNE, 42 ANS magistrate au Tribunal d’application des peines de Bruxelles.

Son cancer a été découvert en 2003. «Statistiquement, j’avais deux ans devant moi. En 2008, je suis encore là.» Psychologue de formation, elle a d’abord travaillé pendant douze ans dans le milieu carcéral avec des délinquants sexuels. «Depuis l’âge de 14 ans, je savais que je voulais travailler dans les prisons. J’adorais mon boulot, mais avec ma maladie, beaucoup de gens m’ont suggéré qu’inconsciemment mon corps encaissait certainement les horreurs que j’entendais tous les jours. Ils m’ont convaincue.» C’est pourquoi elle décide de quitter les délinquants pour travailler avec les surveillants, puis de passer, en 2006, les examens pour la fonction qu’elle occupe depuis lors. Excepté en 2003, où elle doit arrêter ses activités pendant neuf mois, Ysabel reprend ses activités chaque fois qu’elle le peut. D’abord pendant sa rémission. Ensuite chaque fois que les eff ets de la chimiothérapie le lui permettent depuis la récidive en février 2005. «Je suis en chimio permanente depuis lors. Mais en quatre ans, j’ai arrêté de travailler maximum douze mois, quand le traitement était vraiment trop lourd. Si j’ai demandé à reprendre mon boulot – et pour cela j’ai dû me battre avec la commission des pensions–, c’est parce que j’adore celui-ci ainsi que les gens avec qui je travaille. Je me sens utile, appréciée et stimulée intellectuellement. C’est pour moi vital d’avoir cette implication. Le travail me nourrit.» Face à l’issue possible de cette maladie, Ysabel ne cache pas sa peur. Une peur qui, dans la bouche de cette indéniable battante, s’exprime avec une douce pudeur. «J’ai très peur du handicap. J’aimerais continuer à vivre car cette maladie m’a appris que je pouvais exister pour moi-même, et pas uniquement en tant qu’épouse, professionnelle, maman, amie, fi lle de… J’ai appris enfi n à faire des choses pour moi. Cette maladie me permet aussi de faire un autre chemin: celui d’arrêter de faire autant, à la place de…, et d’être culpabilisée pour toutes sortes de choses.» Côté carrière, Ysabel n’a plus envie de compétition. «Aujourd’hui je ne voudrais pas du tout faire un autre travail. Mais c’est un mandat de huit ans non renouvelable. De toute façon je ne vivrai plus huit ans, je le sais.»

L.F.

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