vendredi 26 décembre 2008

Secrets bancaires @ La Libre # 9

Secrets Bancaires

"La Libre" entame une enquête en treize épisodes sur les terribles semaines qui ont ébranlé le monde bancaire belge. Chacun, dans notre pays, s’est senti interpellé, concerné par l’effondrement des symboles de la finance nationale.




Chapitre 9 - Un mardi matin, la cassure chez Dexia
Fortis, on l’a vu, a été une des premières sur le continent européen, à faire les frais de cette impitoyable guerre financière. Le vendredi 26 septembre, la première banque belge, crie à l’aide, au secours.

Chapitre 9 - Un mardi matin, la cassure chez Dexia

francis van de woestyne et ariane van caloen

Mis en ligne le 02/12/2008

Le mardi 30 septembre, le capital de Dexia était augmenté de 6,4 milliards grâce à l’intervention des Etats belge, français et luxembourgeois notamment. Les Français ont mis leurs conditions, à commencer par la démission du CEO, Axel Miller. Pas de quoi faciliter les relations franco-belges au sein du groupe...

Fortis, on l’a vu, a été une des premières sur le continent européen, à faire les frais de cette impitoyable guerre financière. Le vendredi 26 septembre, la première banque belge, crie à l’aide, au secours. Le gouvernement décide de se mobiliser pour la sauver. Mais, dans le paysage bancaire belge, elle n’est pas la seule à éprouver des difficultés majeures.

Le groupe Dexia voit aussi ses possibilités de crédit se réduire comme peau de chagrin. Alors que le sauvetage de Fortis a commencé, Axel Miller, le président du comité de direction de Dexia, avertit le gouvernement. Mais on lui dit en substance: l’urgence, pour l’instant, c’est Fortis. Revenez un peu plus tard. D’autant qu’effectivement, les signaux envoyés par la banque en ce vendredi 26 septembre sont préoccupants mais, croit-on, pas encore trop alarmants. "On savait que cela commençait à sentir mauvais, mais nous croyons, de bonne foi, que Dexia pouvait encore tenir si pas des mois, du moins quelques semaines", entend-on dire. Tout le monde ne comprend pas pourquoi

Dexia est plus attaquée que d’autres banques. Certes, les difficultés de la filiale américaine FSA spécialisée dans le rehaussement de crédit aux municipalités et directement touchée par la crise du subprime sont connus. Mais il y a d’autres problèmes moins bien perçus à ce moment-là. Un: Dexia est plus exposée que d’autres banques à la banque Lehman Brothers qui a déposé son bilan deux semaines auparavant. Deux: le groupe a un "business model" très fragile. Pour assurer son premier métier de prêts aux collectivités locales, elle doit se financer sur le marché interbancaire, lequel est à l’arrêt. Face à des actifs commerciaux de 360 milliards d’euros, elle affiche une base de capital de 16 milliards. Intenable en cette période de terrifiante crise financière.

Pendant les négociations du week-end, plusieurs membres du comité de pilotage évoquent tout de même le danger que semble courir Dexia. Christine Lagarde, la ministre française des Finances est à Bruxelles pour présider la réunion de l’Ecofin (les ministres européens des Finances). Elle fait un saut rue de la Loi. Sans doute pas pour évoquer une de ses anciennes passions, la natation (elle fut médaille de bronze de nage synchronisée, autrefois). Il est évident que son expertise peut être utile (elle dirigea un des plus importants cabinets d’avocats new yorkais). Le sujet de la conversation qu’elle a avec son homologue belge et le Premier ministre reste secret mais on imagine sans peine que les deux dossiers sont évoqués: et Fortis (BNP Paribas est déjà dans la course au rachat) et l’avenir de Dexia (pour laquelle les Français ont de grandes ambitions).

Alors que le gouvernement le fait patienter, Axel Miller sait, lui, qu’il y a urgence. Il réunit son comité de direction dès le samedi. Son idée: faire une augmentation de capital d’environ 7 milliards d’euros pour donner un message clair et rassurant au marché. Il veut suivre l’exemple d’autres institutions mises sous pression. Il prévient certains de ses actionnaires stables. Du côté belge, il y a le Holding communal, Arcofin (holding proche des syndicats et des mutalilités chrétiennes), l’assureur mutualiste Ethias et les trois régions du pays. "Qu’est-ce que cette accélération? On n’est pas prêt d’agir aussi vite", disent-ils un rien effarés à Axel Miller. Du côté des actionnaires français (essentiellement la Caisse de dépôts et Consignation qui est le véhicule financier de l’Etat), on semble aussi estimer que cela va vite. Trop vite.

Le week end se termine donc sans plan de sauvetage pour Dexia. Le lundi, c’est la berezina en Bourse. L’action perd 30 pc. C’est Le Figaro qui a mis le feu aux poudres en annonçant une augmentation de capital imminente. Cette fuite (mal intentionnée?) dans le quotidien français fait des dégâts.

A partir de ce moment-là, il n’y a plus de temps à perdre.

Le Premier ministre, Yves Leterme, prend l’initiative de convoquer les représentants des Régions. La réunion se tient dans la nouvelle salle du Conseil des ministres, située au 3e étage du 16, rue de la Loi. On ne rit pas. Premier tour de piste. Les temps sont durs. Les régions comprennent qu’il va falloir débourser de l’argent. Mais chacun y va de son petit commentaire: c’est bien parce qu’il le faut parce que nous, on a des difficultés ici et là. Les Flamands vont plus loin encore et tiennent un discours assez flamando-flamand: le sauvetage des banques, n’est-ce pas l’affaire du fédéral? La fonction crée l’homme: Yves Leterme rappelle chacun à ses responsabilités politiques. Dexia, c’est aussi une entreprise systémique, principal bailleur de fonds des collectivités locales. Le Premier ministre annonce qu’il aura,dans le courant de la soirée, différentes réunions avec les Français, présents dans Dexia par l’actionnariat mais aussi par l’intermédiaire de la filiale, le Crédit local de France dont le métier est de prêter de l’argent aux municipalités. Dexia est, ne l’oublions pas, un groupe franco-belge issu du mariage en 1996 entre l’ancien Crédit communal de Belgique et le Crédit local de France. Suspension de séance: les francophones (wallons et bruxellois) se concertent entre eux. Les Flamands font de même.

La réunion plénière reprend vers 21 heures 45. Chacun dévoile son jeu: les Flamands, qui voulaient au départ limiter leur participation à 350 millions d’euros, passent à 500 millions. L’apport des Wallons et des Bruxellois est équivalent: 350 millions pour le Sud, 150 millions pour le centre du pays.

Puis on passe au tour de table pour les actionnaires institutionnels. Là non plus, ce n’est pas la joie. Ethias, Arcofin et le Holding communal signalent qu’ils ne pourront pas tous suivre. Ils finissent quand même par intervenir à concurrence d’un milliard d’euros à eux trois. Le socialiste flamand Steve Steevart, président d’Ethias, semble jouer un drôle de jeu. Ethias est en difficulté, en particulier parce que les actions Dexia (environ 5 pc) que la société détient sont en baisse et que cela réduit dès lors fortement la valeur de ses actifs. Pour Arcofin et le holding communal, Dexia est aussi la principale source de revenus. Or la source commence, c’est peu dire, à se tarir.

Steve Steevaert propose quand même de mettre 150 millions supplémentaires. Mais, fin négociateur, il y voit une monnaie d’échange: poussé par tout le camp socialiste, il souhaite que l’Etat accorde sa garantie à hauteur de 20 000 euros sur les produits d’assurance branche 21 vendus par Ethias. On passera plus tard à 100 000 euros. Cette concession s’avère bien nécessaire vu les difficultés de l’assureur que l’on découvrira plus tard...

L’impression, côté francophone, est que la stratégie flamande a évolué en quelques heures. Au départ assez réticents à apporter du cash à Fortis, les responsables flamands semblent, au fil des heures, se dire, c’est classique, qu’en augmentant leur participation, ils vont peut-être pouvoir "flamandiser" Dexia. Evidemment, ils ignorent encore à cette heure-là qu’à Paris, certains ont décidé de "franciser" Dexia.

"Les Français voulaient la minorité de blocage", raconte un négociateur. Et ils l’auront en souscrivant à l’augmentation de capital pour une part plus importante que leur participation. Leterme croit, lui, avoir finement joué en obtenant d’eux 3 milliards et en apportant lui seulement 1 milliard. Vraiment finement?

Les Belges apportent donc 3 milliards pour Dexia:un miliard de la part du gouvernement fédéral, un milliard de la part des trois régions, un milliard de la part d’Ethias, Arcofin et le holding communal. Les Français mettent aussi 3 milliards sur la table. Ce qui leur permet de détenir 25 pc du capital ( 5,7 pc pour l’Etat et 20 pc pour la CDC et sa filale CNP Assurances. A ce moment-là, Dexia est néanmoins toujours largement belge avec un peu moins de 40 pc du capital dans les mains des actionnaires stables. Il n’empêche, ceux-ci sont gentiment tenus à l’écart des autres négociations belgo-françaises celles-là.

Les Français débarquent en force au 16. Une armada de jeunes énarques sortis d’on ne sait où. Il y a là des délégués de ceci, des délégués de cela, des représentants des actionnaires avec leurs avocats et leurs consultants. Pagaille. Ils font leur entrée dans la petite salle ronde où le Premier et les vice- Premiers ministres ont pour coutume de se réunir. Il n’y a pas de place pour tout le monde. De plus, Yves Leterme exige un équilibre entre les délégations: il y a 7 Belges: "Je ne veux voir que 7 Français" dit-il. Yves Leterme, toujours lui, se montre d’une autorité inusitée avec les hôtes: quelqu’un a-t-il un mandat clair du gouvernement français? Silence. Un conseiller du cabinet de Christine Lagarde se présente. Mais il doit concéder qu’il n’a pas de mandat officiel pour négocier. Triste spectacle. On n’est pourtant pas là pour une partie de Monopoly. Yves Leterme suspend la réunion. Après plusieurs heures, une délégation de 7 personnes, 7 Français, dûment mandatés par leur gouvernement, s’installent face aux 7 Belges.

Mais l’équipe de négociateurs belges sent bien que les vrais décideurs ne sont pas là. Ces derniers sont restés à Paris. Les Français acceptent donc un effort financier égal à celui des Belges. Mais, fait-on savoir aux Belges, il y a des conditions. Lesquelles?

C’est à Christine Lagarde, restée à Paris, qu’il faut téléphoner pour les découvrir. Mais elle se montre encore évasive. Yves Leterme essaye de joindre Nicolas Sarkozy par l’intermédiaire du centre de crise de l’Elysée. Impossible. A cette heure avancée de la nuit, le président français, Nicolas Sarkozy, dort. Et on ne réveille pas le président quand il dort pour un sujet assez mineur, il faut bien le dire, aux yeux de la grande France. Même quand on s’appelle Yves Leterme, Premier ministre de Belgique. Même quand on s’appelle Didier Reynders, ministre des Finances de Belgique et ami politique de Sarkozy.

François Fillon, en revanche, décroche à la minute où Yves Leterme l’appelle. Il décide de se rendre à l’Elysée avec Christine Lagarde. On attend encore un peu une heure plus ou moins décente. Cinq heures du matin, on réveille Nicolas Sarkozy qui rejoint ses deux ministres. Mais ce n’est pas le président qui négocie, c’est Fillon ou Lagarde qui sont au téléphone et qui relayent les ordres du chef de l’Etat français.

Les Belges évoquent un plan stratégique pour le redéploiement de Dexia. Mais Sarkozy n’avait qu’une idée en tête: le management. Finalement, il fait dire à Fillon les deux conditions qu’il exige:

-un: la montée en puissance du Crédit local de France;

-et deux: la tête d’Axel Miller, le président du Comité de direction de Dexia. C’est à prendre ou à laisser. Il est 6 heures 30 du matin. Axel Miller a été tenu au courant de l’évolution des négociations. Les dernières nouvelles sont plutôt réconfortantes. Sa banque a été recapitalisée grâce aux trois Etats: la Belgique, le Luxembourg et la France.

Axel Miller rentre chez lui. Fatigué mais soulagé. Les quatre enfants dorment encore.

Il prend une douche et se change. Sa femme l’encourage. Son portable sonne: on lui annonce qu’il doit démissionner. Exigence des Français. C’est le coup de massue. Il revient à la Tour Dexia, magnifique siège du groupe construit il y a quelques années. Le conseil d’administration, qui doit commencer à 7h30, a du retard. Pendant ce temps, une conférence de presse a lieu au 16 rue de La Loi pour l’annonce de l’augmentation de capital. Le conseil débute vers 8h30. En fin de réunion, la phrase assassine est lâchée: "Il a été demandé que le CEO donne sa démission". A ce moment là, Francine Swiggers, administrateur et patronne d’Arcofin, fait un dernier baroud d’honneur. Elle demande qui a pris la décision. Elle se fait presque rabrouer par Augustin de Romanet, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignation. "Madame, les ministres se sont mis d’accord", lui répond-il un peu sèchement. La cassure entre les Belges et les Français au sein du conseil est nette. Elle est presque audible. Pourra-t-on recoller les morceaux?

A suivre...


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