jeudi 25 décembre 2008

Secrets bancaires @ La Libre

Secrets Bancaires

"La Libre" entame une enquête en treize épisodes sur les terribles semaines qui ont ébranlé le monde bancaire belge. Chacun, dans notre pays, s’est senti interpellé, concerné par l’effondrement des symboles de la finance nationale.





Chapitre 1- La revanche ratée de Votron
Ils sont quatre sur la photo. Il y a l’Espagnol Emilio Botin, le Britannique Sir Fred Goodwin et les deux Belges, Maurice Lippens et Jean-Paul Votron. Maurice Lippens, la cheville ouvrière du groupe Fortis, n’a pas résisté à la tentation d’accompagner son CEO. En cette douce journée d’août 2007, ils posent volontiers pour la séance photo.



Chapitre 1- La revanche ratée de Votron

ariane van caloen

Mis en ligne le 22/11/2008

Fin mai2007, un consortium composé de Fortis, Royal Bank of Scotland et Santander annonçait le rachat d’ABN Amro pour un montant record de 71milliards d’euros. En moins d’un an, ce qui devait être le deal du siècle s’est transformé en fiasco. Rien qu’à cause d’une question d’ego?

Ils sont quatre sur la photo. Il y a l’Espagnol Emilio Botin, le Britannique Sir Fred Goodwin et les deux Belges, Maurice Lippens et Jean-Paul Votron. Maurice Lippens, la cheville ouvrière du groupe Fortis, n’a pas résisté à la tentation d’accompagner son CEO. En cette douce journée d’août 2007, ils posent volontiers pour la séance photo. Ils ont le sourire. Le sourire de la victoire. Le sourire des conquérants qui ne savent pas encore qu’ils ont été un "pont trop loin" ("a bridge to far"). Les trois institutions qu’ils dirigent, Santander, Royal Bank of Scotland et Fortis viennent de racheter la banque néerlandaise ABN Amro au prix fort. Elles ont mis les tout gros moyens: 71milliards d’euros. C’est un montant record en terme d’acquisition bancaire. C’est un montant énorme en soi. Cela représente près d’un cinquième du produit intérieur de la Belgique

Et ce n’est pas tout. Contrairement à de nombreux groupes qui rachètent par échange d’actions, le trio va payer une grande partie du deal en cash (80 pc). C’est la seule manière qu’il a trouvée pour surclasser l’offre de la banque britannique Barclays qui, elle, propose de reprendre ABN Amro pour un montant équivalent à 63milliards, mais en actions.

L’offre du consortium n’est pas seulement exceptionnelle par le montant, elle l’est aussi par la forme. Pour la première fois, trois institutions financières se sont unies pour mettre la main sur ABN Amro, un des grands noms de la finance internationale, avec comme but ultime de la dépecer. L’idée, qui s’avérera par la suite désastreuse, est venue de la banque d’affaires américaine Merrill Lynch. Et elle est loin d’être innocente On va comprendre pourquoi.

On est début 2007. Le fonds spéculatif TCI a vu qu’il y avait un beau coup à jouer avec ABN. Il estime que cette banque est mal gérée et donc mal valorisée en Bourse. La méthode n’est pas neuve et a déjà été utilisée avec succès par d’autres fonds. On est en plein dans le capitalisme sauvage aujourd’hui tant décrié, qui cherche avant tout la plus-value à court terme. Peu importent les effets collatéraux. TCI met donc la pression. Il écrit au management et en particulier au CEO (Chief Executive Officer) de l’époque, Rijkman Groenink - un homme réputé vaniteux qui supporte peu la contradiction - pour le pousser à changer le modèle jugé trop hybride à cause d’acquisitions tous azimuts. Il annonce qu’il va aller à l’assemblée pour demander la démission du management. Et même s’il a à peine environ 1 pc du capital, cela marche. Les investisseurs commencent à s’intéresser à ABN Amro. Les banques d’affaires sentent qu’il y a là du business à faire. On ne comprendra que plus tard le rôle nuisible qu’elles peuvent jouer dans le monde de la finance. Elles sont nombreuses à imaginer un deal autour d’ABN Amro et prennent contact avec toutes les grandes institutions financières.

p>Le groupe ING, présidé par le Belge Michel Tilmant, regarde le dossier mais s’arrête assez vite en raison des problèmes de concurrence que cela pourrait représenter aux Pays-Bas. Il s’arrête juste avant que Barclays ne sorte du bois. Barclays entourée d’une armée de conseillers parmi lesquels on ne trouve pas Merrill Lynch. Mais cette dernière n’est pas prête à rater l’affaire du siècle. Elle va trouver Royal Bank of Scotland qui, comme tous les patrons de banque savent, a des ambitions dans les activités "wholesale" (activités avec les entreprises) et Santander qui veut s’étendre en Amérique latine (où ABN Amro est présente). Les deux banques montrent un intérêt pour ABN Amro, sauf pour les activités "retail" (clients particuliers), en particulier aux Pays-Bas. C’est à ce moment-là que Merrill Lynch prend contact avec Jean-Paul Votron. Qui, contre toute attente, montre lui aussi un intérêt.

Contre toute attente, car celui qui est devenu CEO de Fortis en 2004 n’a cessé de dire qu’il voulait chercher de la croissance en dehors du Benelux. Il cite même un chiffre. Il veut que le bénéfice réalisé hors Benelux atteigne 30 pc du total. Il a déjà commencé à réaliser son plan de bataille en achetant en 2005 la banque turque Disbank pour un milliard d’euros. La Turquie fait rêver tous les banquiers avec sa population jeune et son économie en plein boom. Votron a un coup d’avance sur nombre d’entre eux, à commencer par Michel Tilmant et Axel Miller, l’ex-CEO de Dexia.

Pourquoi, alors, subitement changer de cap et revenir dans un marché au taux de croissance limité? Après coup, certains y ont vu une vengeance de celui dont le passage chez ABN Amro ne s’est pas bien terminé. C’était en 2000. A ce moment là, Votron dirige la division banque en ligne d’ABN Amro et lorgne une place au sommet de la banque. Mais un certain Groenink prend la place qu’il vise et réduit à néant le développement de la division E-commerce.

Dans la vie des affaires, les rancœurs personnelles sont souvent plus déterminantes qu’on veut bien l’admettre. Mais il n’y a pas que cela. Car Jean-Paul Votron n’est pas quelqu’un de vindicatif ou de rancunier, disent ceux qui l’ont cotoyé. D’autant qu’après avoir quitté ABN en 2001, il est retombé sur ses pattes en entrant chez Citigroup.

Il y a donc autre chose. Et pour comprendre ce qu’il y a, il faut se remettre dans le contexte.

Votron est un homme ambitieux, un "deal maker" formé à l’école américaine. Le monde de la finance est en pleine ébullition. Et il n’a pas envie d’être en dehors du coup. La chance ne passe-t-elle pas qu’une fois? C’est sans doute ce qu’il pense. Tout comme son président Maurice Lippens, qui voit dans ABN Amro l’occasion de terminer en beauté une carrière à succès.

Celui qui avait été fait comte par le roi Albert II au moment du rachat de la Générale de Banque a montré qu’il aimait jouer dans la cour des grands. Et il ne cache pas son plaisir de faire un coup final en créant le numéro un incontesté de la finance dans le Benelux. Ne peut-on pas deviner cette jubilation sur la photo où il a cru bon apparaître à côté de Jean-Paul Votron? Il ne manque donc pas d’arguments pour convaincre son conseil où il a placé son ami Philippe Bodson, l’ex-patron de Tractebel, mais aussi des personnalités prestigieuses comme Clara Furse, la patronne de la Bourse de Londres.

C’est ainsi que se concrétise l’offre consortiale. "On est dans la dernière ligne droite de l’hystérie du secteur", raconte un proche du dossier.

Le rachat est officialisé le 29mai 2007 par une conférence de presse qui a lieu à Londres. Royal Bank of Scotland intervient à concurrence de 27,2milliards dans l’opération. Elle vise notamment la Banque LaSalle aux Etats-Unis et les activités "investment banking". Le groupe Fortis se montre prêt à débourser 24milliards d’euros pour reprendre les activités néerlandaises d’ABN Amro et ses activités de banque privée et gestion d’actifs dans le monde. Quant à l’Espagnol Santander, il reprend notamment Banco Real en Amérique du Sud et la filiale Antonveneta en Italie, pour 20milliards d’euros.

A l’époque, rares sont les analystes qui disent que Fortis a vu trop grand. Ils croient aux synergies annoncées. Absolument pas conscients de la gravité à venir de la crise financière, ils se laissent convaincre par le plan de financement présenté, avec ce ton toujours calme et assuré, par le CFO (Chief Financial Officer) de l’époque, Gilbert Mittler.

Le plan comprend notamment une augmentation de capital record de 13milliards d’euros, des ventes d’actifs et l’émission de différents instruments financiers. Le deal est énorme: il va rapporter en commissions aux différents conseillers, dont Merrill Lynch, la coquette somme de 240millions d’euros De quoi comprendre la motivation des banquiers d’affaires

Arrive l’assemblée de Fortis du 6août 2007, qui doit approuver l’opération et l’augmentation de capital. Elle a lieu au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles. Lippens, Votron, Mittler et Cie sont sur la scène. Les administrateurs sont au premier rang. Lippens promet monts et merveilles. Un seul petit actionnaire ose apporter une note discordante dans ce concert d’éloges en demandant la démission de Votron qu’il accuse de "mégalomanie". Il fait référence à une lettre qui avait été publiée quelques jours auparavant dans "La Libre Belgique" et avait fait enrager Votron. Aucune allusion n’est faite aux prémices pourtant réelles de la crise financière. L’opération est approuvée à plus de 90 pc des voix.

Quelques semaines plus tard, Votron et Mittler partent faire un "roadshow" à travers le monde pour pousser les investisseurs institutionnels (fonds de pension, compagnie d’assurance, etc.) à souscrire à l’augmentation de capital."Ils étaient dans leur tour d’ivoire", raconte un analyste. Votron demande aux meilleurs éléments de ses troupes de se concentrer sur la reprise d’ABN.

Laquelle n’est pas une sinécure vu les nombreux obstacles mis par les Néerlandais furieux de voir partir un de leurs fleurons. Les syndicats craignent un bain de sang social. Les clients d’ABN quittent en masse. Les autorités de régulation pinaillent. Et les campagnes de pub de Fortis, couplées aux nombreuses interviews "séduction" de Votron et du Néerlandais Lex Kloosterman, ne calment pas les esprits aux Pays-Bas.

Votron s’enfonce dans son travers "no bad news". Il refuse de voir une réalité de plus en plus inquiétante. Car, il ne faut pas se leurrer, la crise du "subprime" ne fait pas seulement la Une des journaux. Elle entraîne une chute des cours des valeurs bancaires et devient peu à peu une crise de liquidité. L’homme d’affaires flamand Piet Van Waeyenberge, membre du conseil de Fortis depuis de longues années, commence à se poser des questions sur l’opportunité du rachat d’ABN Amro. Lors d’un conseil d’administration du 20septembre 2007, il suggère de faire appel à la clause dite MAC (Material Adverse Change) qui permet de se retirer de l’opération pour cause de changement majeur du contexte général. "Cela vaut la peine, même s’il y aura sans doute quelques dommages en terme de réputation et des risques de procès d’actionnaires d’ABN Amro", dit-il.

Le temps presse car la clause expire en octobre. Mais le duo Lippens-Votron ne veut rien entendre. Votron se montre de plus en plus nerveux. Visiblement, il ne veut pas perdre la face. Peut-on revenir en arrière quand on a été élu "European Business Leader of the Year" quelques mois auparavant (en janvier2007)?

Alors qu’il était plutôt aimable, Votron a un ton de plus en plus cassant, aux dires de certains de ses collaborateurs. Il menace de démissionner si l’opération ABN Amro ne se fait pas. Même Maurice Lippens semble dépassé par les événements. Il ne comprend pas qu’il est encore temps pour renoncer à ses ambitions, que sa course pour la taille et aussi pour la gloire suprême peut le perdre.

Le 17octobre 2007, le consortium devient officiellement propriétaire d’ABN Amro. Fortis a réussi son augmentation de capital mais, la crise financière ne faisant que s’aggraver, il rencontre les pires difficultés pour trouver les derniers milliards qui lui manquent. Ce qui, en plus de son importante exposition au "subprime", précipitera sa chute. Elle a lieu un an plus tard.

Début octobre, le groupe présidé par Maurice Lippens est acculé à revendre au rabais ses actifs néerlandais à l’Etat néerlandais, tout content de reprendre un de ses "bijoux de famille", et les actifs belges et luxembourgeois à BNP Paribas.

Voilà comment, en un an, ce qui devait être le deal du siècle s’est transformé en fiasco

A suivre...



Les acteurs de la crise
Jean-Paul Votron, administrateur délégué de Fortis d’octobre2004 à juillet2008, est l’un des principaux artisans de l’offre publique d’acquisition lancée par le groupe financier belge sur ABN Amro, en partenariat avec Royal Bank of Scotland et Banco Santander Central Hispano, début mai2007.


Les acteurs de la crise

Philippe Galloy

Mis en ligne le 22/11/2008

Axel Miller, administrateur délégué de Dexia jusqu’au 30septembre 2008, a quitté le groupe financier en renonçant à son parachute doré, qui était estimé à quelque 4millions d’euros, sous la pression d’actionnaires publics de la société franco-belge.

Il était une fois Fortis

Jean-Paul Votron, administrateur délégué de Fortis d’octobre2004 à juillet2008, est l’un des principaux artisans de l’offre publique d’acquisition lancée par le groupe financier belge sur ABN Amro, en partenariat avec Royal Bank of Scotland et Banco Santander Central Hispano, début mai2007. Lorsque, quelques semaines plus tard, les problèmes dus à la crise financière sont apparus et ont persisté, Jean-Paul Votron ne s’est jamais départi de son discours optimiste et d’une certaine autosuffisance, n’hésitant pas, pour justifier ses émoluments, à comparer sa situation dans le monde bancaire à celle de Justine Henin dans le monde du tennis.

A l’origine de la création de Fortis en 1990, Maurice Lippens, président du groupe financier jusqu’à la fin du mois de septembre2008, était un fervent partisan de l’acquisition d’ABN Amro. Critiqué pour son manque de discernement lorsque la crise financière a éclaté, compromettant l’opération, Lippens a, tout comme Votron, toujours conservé un discours teinté d’optimisme, alors que la situation de Fortis se dégradait de jour en jour. Maurice Lippens a malgré tout gardé son flegme légendaire, sauf à l’occasion d’une prestation remarquée au Cercle de Lorraine où il avait accusé les défenseurs des petits actionnaires et la presse d’être la cause des déboires de Fortis.

Fidèle lieutenant de Jean-Paul Votron jusqu’en juillet2008, Herman Verwilst a assuré l’intérim au poste d’administrateur délégué jusqu’au 26septembre, la veille du week-end où le sauvetage du groupe Fortis a été organisé avec l’aide des pouvoirs publics. Verwilst est toujours apparu calme et posé tout en défendant à cor et à cris l’opération ABN Amro, même si c’était sans afficher l’optimisme débordant de son prédécesseur. Le montant de son parachute doré (5millions d’euros), obtenu grâce à son ancienneté chez Fortis, a indigné bon nombre d’observateurs.

Troisième larron de la direction de Fortis après Votron et Verwilst, Gilbert Mittlera occupé les fonctions de directeur financier du groupe jusqu’au 1eraoût 2008. Il est toutefois resté dans l’ombre de Verwilst avec un rôle de conseiller spécial, non sans avoir touché une indemnité de 4millions d’euros, ce que Fortis avait passé sous silence, et qui a obligé le groupe à se séparer définitivement de Mittler lorsque la presse a révélé l’information.

D’abord administrateur délégué de Fortis holding après le départ de Verwilst,Filip Dierckx occupe à présent le poste de numéro2 de Fortis Banque, sous la direction de Jean-Laurent Bonnafé, ce dernier provenant de BNP Paribas. L’éphémère passage de Filip Dierckx à la tête du holding Fortis coïncide avec la période qui a conduit à la nationalisation puis au démantèlement du groupe et, enfin, à sa cession pour partie à BNP et aux autorités néerlandaises.

Etienne Davignon est le probable futur président de Fortis holding: réponse aux assemblées générales des 1er et 2décembre. Après que la société cotée avait été vidée de sa substance, il fallait trouver une nouvelle direction pour gérer une situation délicate: que faire de ce qui reste de Fortis? Davignon, ami personnel de Lippens, a été sollicité pour remplir cette tâche, avec l’espoir qu’il parvienne à récupérer quelque chose, un peu comme lorsqu’il avait lancé Brussels Airlines sur les ruines de la Sabena. Mais le retour de ce "vieux crocodile" fait grincer les dents des tenants d’une gestion plus transparente de Fortis

Egalement proche de Lippens, Philippe Bodson était de toutes les décisions du conseil d’administration de Fortis, de l’acquisition d’ABN Amro aux mesures d’urgence ayant conduit au démantèlement du groupe, qu’il a lui-même négocié en lieu et place d’un Maurice Lippens absent. Il est également proposé au poste d’administrateur du holding. Reste à voir la décision des assemblées des 1er et 2décembre.

In and Out chez Dexia

Axel Miller, administrateur délégué de Dexia jusqu’au 30septembre 2008, a quitté le groupe financier en renonçant à son parachute doré, qui était estimé à quelque 4millions d’euros, sous la pression d’actionnaires publics de la société franco-belge. Reconnu comme un patron brillant par les professionnels qui ont travaillé avec lui, Miller a fait les frais du sauvetage de Dexia à l’aide de fonds publics. Il avait hérité d’une situation qu’il n’avait pas voulue, avec l’encombrante filiale américaine FSA. Il semble avoir conservé une certaine amertume après son départ forcé, privé de l’indemnité à laquelle il avait droit en vertu de son contrat.

Président de Dexia jusqu’en septembre2008, Pierre Richard a dû passer la main au moment des interventions publiques destinées à renflouer le groupe bancaire en difficulté. Provenant du Crédit local de France, Richard a participé à la création de Dexia, ce qui reste son plus haut fait d’armes. Depuis l’arrivée de Miller au poste d’administrateur délégué, il paraissait relativement effacé mais semblait se satisfaire de désormais rester davantage dans l’ombre.

L’ex-Premier ministre Jean-Luc Dehaene vient de débarquer à la présidence de Dexia, en lieu et place de Richard, pour conserver l’ancrage belge de la direction du groupe. Connu pour son franc-parler, le bulldozer Dehaene vient de faire montre de son style sans langue de bois en évoquant des suppressions d’emplois en raison des réductions de coûts en perspective dans le groupe financier.

Pierre Mariani, ancien de BNP Paribas, est surtout connu pour être un ami du président français Nicolas Sarkozy, dont il a été chef de cabinet lorsque ce dernier était ministre du Budget. Mariani, 52 ans, est devenu début octobre le nouvel administrateur délégué de Dexia. Pragmatique, il a l’avantage de bien connaître le métier de banquier.

L'invité français

Le directeur général de BNP Paribas, Baudouin Prot, semble être le grand gagnant de la saga Fortis. Alors qu’au printemps 2007, on avait prêté à la banque française l’intention de lancer une offre sur ABN Amro pour se positionner stratégiquement dans le Benelux, son patron a eu le nez fin en se montrant attentiste. Quelques mois plus tard, il a suffi à cet énarque énergique de se pointer deux week-ends à Bruxelles pour élargir le périmètre de son groupe financier aux activités de banque et d’assurance belges de Fortis. Précision utile: Prot est aussi administrateur de Pargesa, la holding suisse contrôlée par un certain Albert Frère...

SOS petits actionnaires

Le sauvetage de Fortis a conduit à vider le holding d’une bonne partie de sa substance, à savoir les activités bancaires et d’assurances en Belgique et aux Pays-Bas. A l’heure actuelle, Fortis Holding ne contient plus que du cash, des activités d’assurances internationales et une participation de 66 pc dans un portefeuille de crédits structurés à la valeur incertaine. Pour plusieurs milliers d’actionnaires, défendus par l’avocat Mischaël Modrikamen, c’en est trop. Ils veulent réparation. La première manche a toutefois été remportée par Fortis, BNP et l’Etat belge. Mais un appel devrait être jugé prochainement. Et il reste encore des actions possibles au fond.

C’est ce que doit se dire aussi Pierre Nothomb, de Deminor, pour se remettre de la décision de justice défavorable rendue mercredi dans le dossier de la demande de nomination d’un administrateur ad hoc défendant les petits actionnaires. Deminor est parvenu à fédérer plusieurs milliers d’actionnaires et entend bien faire entendre leur voix, notamment lors des assemblées générales, dans une semaine. Assurément, ça va chauffer dans l’auditoire 2000 de Brussels Expo le 2décembre!

Les voisins "amis"

C’est bien connu, le président français, Nicolas Sarkozy, aime contrôler au maximum les événements, quitte à faire jouer ses influences là où sa fonction ne permet pas d’intervenir. C’est ainsi qu’il a propulsé son ami Pierre Mariani à la tête de Dexia. Mais "Sarko" était déjà intervenu bien en amont dans le dossier, lorsqu’il s’agissait de trouver une solution équitable entre Belges et Français pour le contrôle du groupe au terme de l’opération de sauvetage financier. A travers sa composante française et son actionnariat, dont fait partie notamment la Caisse des dépôts et consignations française, Dexia justifiait naturellement une intervention des autorités publiques françaises.

Mais la France n’est pas le seul pays avec lequel le gouvernement belge a dû coordonner son action. Le Grand-Duché de Luxembourg a également été sollicité, étant donné l’importance des filiales de Fortis et Dexia au sein du plus petit de nos pays voisins. Le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, a l’avantage d’être aussi ministre des Finances, disposant de la compétence des matières bancaires, ce qui lui a permis de négocier en connaissance de cause. Le Grand-Duché a finalement participé à l’effort financier en proportion de la taille des filiales luxembourgeoises de Fortis et Dexia dans l’ensemble des groupes respectifs, et à travers des obligations convertibles. On connaît le goût des Luxembourgeois pour les produits financiers complexes

Alors que Sarkozy rencontrait Leterme et songeait à placer Mariani à la tête de Dexia, Christine Lagarde, la ministre française de l’économie, travaillait à la solution à apporter pour sauver le groupe franco-belge en difficulté. Fin septembre, c’est elle qui a présenté à la presse française la teneur de l’accord négocié tard dans la nuit. Elle a affirmé à cette occasion sa confiance dans le système bancaire qu’il était impératif, selon elle, d’aider à continuer à fonctionner.

Le ministre néerlandais des Finances, Wouter Bos , ne laissera pas un souvenir impérissable aux négociateurs Belges. Début octobre, il n’avait pas hésité à affirmer que les Pays-Bas avaient hérité de la meilleure part du "gâteau" Fortis. On sait aussi, à la faveur des récentes procédures judiciaires concernant Fortis, que l’Etat néerlandais avait promis 4milliards d’euros pour sauver Fortis, somme qu’il n’a jamais versée à temps pour éviter un problème de liquidité au groupe financier. Ça n’a pas dû rendre Bos beaucoup plus sympathique aux yeux des négociateurs belges.

L'incontournable

On ne présente plus Albert Frère, premier actionnaire de GDF Suez, détenteur de participations significatives dans de nombreux autres groupes français comme Total, Pernod Ricard ou Lafarge, le baron Frère est un homme d’influence dont on dit qu’il a l’oreille du président français, Nicolas Sarkozy. Etant donné sa grande proximité du pouvoir et son omniprésence dans les milieux économiques, il est quasiment incontournable lors d’opérations stratégiques de grande importance, telles que le sauvetage des principales institutions financières belges. Il ne fait quasiment aucun doute qu’il a été consulté, si pas sollicité, dans ce contexte.

Binôme gouvernemental

Le Premier ministre belge, Yves Leterme, a dû gérer une crise à laquelle le monde politique belge n’avait jamais été confronté: la menace d’une disparition pure et simple des deux plus grandes institutions financières du Royaume, avec toutes les conséquences qui en auraient découlé. D’abord saluée unanimement, la gestion de crise de Leterme a été remise en cause par les petits actionnaires furieux d’avoir été laissés sur la touche.

Didier Reynders, le vice-Premier ministre et ministre des Finances, a vite compris la situation catastrophique dans laquelle se trouvait le monde financier belge à la fin du mois de septembre. En permanence aux côtés d’Yves Leterme pour rechercher des solutions, il a donné l’impression de mener les négociations quasiment à lui seul, ce qui lui vaut aujourd’hui la rancune de petits actionnaires de Fortis qui lui reprochent d’avoir bradé les actifs essentiels du groupe financier. Reynders se montre assez chatouilleux lorsqu’on évoque les milliards de fonds publics avancés pour sauver les banques belges.

Monsieur BCE

Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, doit se souvenir de son dernier week-end de septembre. Après avoir pris connaissance de la situation de Fortis, le Français avait gagné dare-dare la capitale belge pour mettre en garde le gouvernement et les autres autorités en présence contre le risque de faillite de Fortis. Selon certaines sources relayées par la presse, Trichet aurait joué un rôle crucial dans le sauvetage du groupe financier. Il aurait notamment mis en avant les conséquences dramatiques d’une déconfiture du bancassureur au niveau mondial. Alors que le métier "traditionnel" du président de la BCE consiste à définir la politique monétaire, ce qui n’est guère palpitant vu le profil relativement conservateur de l’institution de Francfort, Trichet a montré ici toutes ses compétences dans une situation des plus urgentes.

Les experts

Le gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB), Guy Quaden, était en première ligne lorsque les difficultés de Fortis sont apparues. C’est que la BNB est la gardienne de la stabilité financière en Belgique. Etiqueté socialiste, Quaden est connu pour son pragmatisme et a probablement joué un rôle majeur dans la recherche de solutions pour éviter la banqueroute de Fortis. Interrogé sur la nécessité de réformer les mécanismes de contrôle après les affaires Fortis et Dexia, Quaden avait eu ce bon mot: "Ce n’est pas lorsque les maisons brûlent encore qu’il faut entamer une discussion sur l’organisation des services d’incendie".

Le contrôle des institutions financières incombe à la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) présidée par Jean-Paul Servais. Ce juriste de pointe a joué son rôle dans la grande discrétion qui caractérise cette institution clé de l’économie belge. D’aucuns auraient souhaité un rôle plus proactif de la CBFA, ce à quoi Servais répond qu’il n’appartient pas au gendarme des banques d’aller au-delà du rôle auquel la loi le confine. Reste que la crise bancaire belge pourrait conduire à une réforme du fonctionnement de la Commission bancaire et financière.

Vice-gouverneur de la Banque nationale, Luc Coene est un économiste d’envergure internationale qui connaît le système financier belge à la perfection. L’ex-chef de cabinet de Guy Verhofstadt a participé aux négociations interminables des week-ends d’octobre consacrés au dossier Fortis. Ses grandes connaissances de la législation internationale ont été d’une aide précieuse au moment d’échafauder un plan de sauvetage du groupe financier.

Directeur au sein de la Banque nationale depuis huit ans, Peter Praet est incontournable lorsqu’il s’agit de stabilité financière, ce qui justifiait mille fois sa participation au sauvetage des banques. Chaque année, c’est lui qui se farcit le "financial stability review" de la BNB, un rapport volumineux et complexe mais d’une grande utilité publique. Il participe à une kyrielle de réunions internationales sur le système financier mondial. Autour de la table des négociations, il était peut-être celui qui connaissait le mieux les risques auxquels le pays était confronté et qui voyait le plus clairement la façon d’en sortir dans le contexte économique mondial du moment.


source : La Libre




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