vendredi 26 décembre 2008

Secrets bancaires @ La Libre # 8


Secrets Bancaires

"La Libre" entame une enquête en treize épisodes sur les terribles semaines qui ont ébranlé le monde bancaire belge. Chacun, dans notre pays, s’est senti interpellé, concerné par l’effondrement des symboles de la finance nationale.




Chapitre 8 - BNP Paribas entre dans la danse
Les Hollandais sont repartis chez eux avec leur trésor. Qu’en feront-ils ? Les Français, qui attendaient derrière la porte, se frottent les mains. Les Belges n’ont d’autre choix que de vendre, d’offrir diront certains, Fortis au seul candidat encore en lice : BNP Paribas.

Chapitre 8 - BNP Paribas entre dans la danse

francis van de woestyne et ariane van caloen

Mis en ligne le 01/12/2008

Les Hollandais sont repartis chez eux avec leur trésor. Qu’en feront-ils ? Les Français, qui attendaient derrière la porte, se frottent les mains. Les Belges n’ont d’autre choix que de vendre, d’offrir diront certains, Fortis au seul candidat encore en lice : BNP Paribas.

récit

Vendredi 3 octobre. La tempête hollandaise s’est calmée. Les voisins du Nord sont repartis chez eux avec leur trophée : Fortis Bank Nederland, Fortis Verzekeringen Nederland et ABNAmro sont revenus dans des mains hollandaises. Ils ont déboursé 16,8milliards et prennent à leur charge les besoins de liquidités de la branche batave, soit 34milliards d’euros... Un fardeau en moins pour les Belges.

Wauter Bos, le ministre hollandais des Finances, ne cache pas son plaisir. Lui qui est aussi président du parti socialiste néerlandais, le PvdA (Partij van de Arbij) veut apparaître comme le sauveur des banques hollandaises. Habitué des déclarations à l’emporte-pièce voire carrément maladroites, il flatte l’égo national. Au cours du Talk Show "Pauw et Witterman", le mardi 7octobre, il affirmera que les Pays-Bas ont repris les parties les plus saines de Fortis. Le sang d’Yves Leterme ne fait qu’un tour : il décroche son téléphone et dit ce qu’il pense à Jan Peter Balkenende, le Premier ministre néerlandais.

Bos crée aussi un malaise et suscite la colère chez les siens. Car, lors du même talk show, il claironne : "Ce dont je suis fier, c’est d’avoir négocié pendant trois jours sur Fortis et ABN Amro, sans que personne ne le sache." Cela confirme, en tous les cas, que Fortis n’a pas informé le marché correctement. Au contraire, le 2octobre, encore, Fortis Nederland affirmait qu’elle était plus forte que jamais. Du coup, voyant la faiblesse de l’action, des Hollandais pensent que Fortis est encore une bonne affaire et acquièrent encore une grande quantité d’actions et d’obligations. En effet, sur la base des informations rassurantes envoyées par Fortis Nederland, certrains "professionnels" estiment que Fortis est "best buy". L’affluence est donc grande : les gens sont persuadés que l’action, qui a connu d’importants reculs successifs, va repartir à la hausse. Aujourd’hui, Wouter Bos refuse d’assumer la moindre responsabilité : il botte en touche et affirme : "Nous faisons de notre mieux pour que ce soit les responsables qui payent la factures, pas les investisseurs." C’est-à-dire ?

Mais on n’en est pas encore là. Clôturons momentanément le chapitre hollandais et revenons en Belgique, le vendredi 3octobre.

La semaine a été éprouvante. Le week-end le sera aussi. Une chose est évidente, une fois encore : il faut sauver Fortis de la noyade assurée. Impossible, pour la Banque nationale, de continuer à prêter des sommes folles à la banque. Le gouverneur de la Banque nationale, Guy Quaden, a même fini par demander la garantie de l’Etat sur la Banque nationale.

Deux options sont donc examinées :

-un "stand alone" de la banque, via une nationalisation totale : d’autres pays et non des moindres l’ont pratiqué avec succès;

-la revente à un autre groupe bancaire.

Les participants à cette nouvelle introspection bancaire affirment que les deux hypothèses ont reçu la même attention. Ce dont doute très fort une grande partie, non libérale, du monde politique. Les socialistes francophones, par exemple, qui n’auront guère voix au chapitre pendant toute cette période, estiment encore aujourd’hui qu’une nationalisation complète de la banque ne devait pas être rejetée. Les socialistes ne sont pas les seuls à favoriser la nationalisation, même temporaire : les libéraux flamands soutiennent aussi l’idée.

Et ils prennent en exemple la Grande-Bretagne, qui, même sous Gordon Brown, n’est tout de même pas le symbole du communisme moderne. Le Premier ministre britannique a nationalisé partiellement des banques britanniques en injectant 65milliards d’euros. Et, apparement, cela marche. Toute la gauche belge cite en exemple la Northern Rock. Nationalisée après avoir été mise quasiment en faillite, il y a plus d’un an, la banque est devenue le refuge idéal pour les épargnants anglais attachés à leur bas de laine. La vieille caisse hypothécaire, transformée en banque commerciale en février dernier, avait été une des victimes les plus emblématiques du début de la crise bancaire. Aujourd’hui, nationalisée, elle refuse des clients. Pourtant, le seul produit qu’elle offre aujourd’hui est un placement en obligation bloqué pendant un an à 4,5 pc brut, soit deux points de moins que ses concurrents. Mais voilà, cela marche. Face à l’inquiétude qu’inspirent les enseignes traditionnelles, Northen Rock refuse aujourd’hui des clients. C’est comparer des pommes et des poires, rétorquent ceux qui veillent au destin de Fortis. Pour les gens qui sont autour de la table, Yves Leterme, Didier Reynders et le groupe de pilotage (Coene, Servais, Wunch, Hilgers, Masai, Van Loo, tous ne sont pas toujours là, mais sont consultés régulièrement) la nationalisation pure et dure paraît trop risquée. Pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’elle entraînera l’Etat dans des débours sans fin. Le sauvetage de Fortis a déjà coûté un paquet de milliards. D’aucuns ont l’impression que cette nationalisation sera un tombeau des Danaïdes.

Deuxième argument avancé par les opposants à la nationalisation complète : la nationalisation partielle de Fortis n’a rien changé. Le marché n’y croit pas.

Enfin, pour nationaliser, il faudrait avoir les compétences de management nécessaire. Le management de Fortis a quasiment déserté. "Les anciens patrons nous sont aujourd’hui aussi utiles qu’un jardinier sur un porte-avion...", commente un négociateur. Et puis, comme on le répète autour de la table, l’Etat n’a pas pour vocation de jouer au banquier.

Lors d’une réunion à la CBFA, Philippe Bodson, administrateur de Fortis, tente, lui, d’obtenir une garantie de l’Etat belge pour les passifs de FortisBanque. Mais il se voit opposé une fin de non-recevoir par les participants du comité de pilotage. "Donner une telle garantie à une banque qui n’a plus de capitaine est un énorme risque que nous n’avons pas voulu prendre", explique un négociateur. Qui pense aussi à la situation en Islande où l’Etat a frôlé la faillite. Finalement, parmi ce groupe de négociateurs, un consensus, voire une unanimité, se dégage pour proposer Fortis à la vente.

A qui ?

Le tour des candidats repreneurs est vite fait. Aucun actionnaire, à titre individuel ou collectif, aucun groupe d’investisseurs, qui, plus tard, dira au gouvernement ce qu’il aurait dû faire, ne se présente au cabinet des Finances ou à la CBFA pour déposer une offre. Evidemment, qui sait, à ce moment-là, ce qui se trame vraiment derrière les fenêtres de la rue de la Loi ?

Il n’y a donc qu’un seul groupe qui réponde à l’appel du gouvernement: qui veut racheter Fortis ? "On avait donc gardé le contact avec BNP", explique-t-on à la Banque nationale. Qui en particulier ? Le groupe de pilotage n’a, en fait, jamais coupé les ponts avec BNP et en France, Baudouin Prot, directeur général de BNP Paribas est dans les starting-bloks.

Un homme bien, diront les Belges. Bien et bien payé : la quatrième rémunération des sociétés côtées en France (3 342 459euros par an, tout compris : rémunération fixe, variable, jetons de présence et avantages en nature).

Très vite, les contacts reprennent. Baudouin Prot arrive à Bruxelles avec son Chief Financial Officer. "Ils voulaient déjà commencer la négociation, dès le vendredi soir. Mais là, nous, on était fatigués. On avait déjà deux nuits blanches derrière nous. On leur a demandé d’attendre jusqu’au samedi matin."

Samedi matin. Nous sommes le 4octobre. Le week-end s’annonce chargé. L’offre de BNP paraît réaliste. Mais encore insuffisante. De toute façon, c’est la seule. Et dans le clan belge, on est persuadé que, si on laisse Fortis, nue, sans défense, sur le marché, le lundi matin, elle ne finira pas la journée debout. Le risque d’attendre encore, voire d’aller chercher de nouveaux repreneurs, hypothétiques et peut-être moins bien intentionnés que BNP Paribas, semble trop grand.

Bien intentionné, tout est relatif quand même. Car les Français, on les comprend, se frottent les mains : cela fait déjà un petit temps qu’ils rôdent autour de Fortis. "Là, ils sentent qu’ils vont pouvoir la cueillir sans trop de mal, comme un fruit trop mûr et même un peu pourri...", note un participant. Sympa...

Evidemment, à ce moment-là, l’Etat belge ne dispose toujours que de 49,9 pc des parts de Fortis Banque. Qu’à cela ne tienne. Les experts se penchent sur le rachat de Fortis par l’Etat belge. Mais cela va prendre du temps. En temps normal, il faudrait des semaines, voire des mois, pour conclure un tel dossier. On fait donc comme si c’était fait. La négociation Etat belge-BNP s’entame avant même que la filiale bancaire ne soit officiellement reprise par la Belgique, tout accord éventuel étant conditionné à la reprise de celle-ci par l’Etat. "Tout le monde était parfaitement au courant de cette logique-là. Mais il fallait aller vite."N’est-il pas curieux de négocier le rachat d’un groupe avec des gens qui n’en sont pas propriétaires ? "Il y avait urgence et, de toute façon, explique un membre de la task force, BNP ne voulait surtout pas négocier avec les gens de Fortis : on ne négocie pas avec des fantômes."

Les Belges entament donc une négociation difficile, mais courtoise, avec les Français pour tenter d’obtenir le prix le plus élevé : "On a toujours maintenu le risque d’une nationalisation pour rendre l’option très crédible..." Y ont-ils cru, les Français ? Peut-être ont-ils fait semblant. Il est apparu assez vite que BNP Paribas était gourmand : ils voulaient tout racheter, y compris les assurances dont l’Etat n’était pas propriétaire et ne le serait jamais...

Finalement, ils ont porté leur offre de 4milliards (prix de départ) à 5,7milliards pour les assurances. Pour la banque, ils sont restés très longtemps bloqués à 9milliards, l’Etat belge conservant tout le portefeuille de produits structurés à risque qui était évalué à quelque 10milliards. Finalement, Baudouin Prot a accepté de consentir un dernier effort en prenant une participation de 10 pc (1milliard) dans le portefeuille de produits toxiques.

Et c’est ainsi que l’accord final a été conclu, le dimanche, vers 19heures. Un accord relativement complexe. Première étape : l’Etat devient actionnaire à 100 pc de Fortis Banque. Deuxième étape : il cède - en deux fois - 75 pc du capital à BNP via un échange d’actions. Ce qui permet au contribuable belge de devenir le premier actionnaire de la banque française avec 11 pc. BNP rachète aussi les assurances pour un montant de 5,7milliards. Et voilà, le tour est joué. Il ne reste donc dans Fortis, société cotée, qu’une participation de 66 pc dans les produits toxiques et les activités d’assurances à l’international. Les actionnaires, on les comprend, enragent.

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas retenu l’option de placer les 11 pc qu’il détenait désormais dans BNP Paribas dans le holding Fortis de manière à garder quelque chose pour les actionnaires ? "Cela n’était pas possible. Notre obsession, c’était l’entreprise, le personnel et les épargnants. Le prix offert par les Français nous paraissait correct, car il correspondait à environ 5euros à l’action Fortis. C’était, à peu de chose près, la dernière cotation du marché. Ce n’est quand même pas nous qui avons fait tombé l’action de 30 à 5euros."

L’accord est donc conclu le dimanche soir et est entériné à 3heures du matin par le conseil d’administration de Fortis. Louis Cheung, représentant du groupe chinois Ping An (premier actionnaire de Fortis avec 4,99 pc) et Clara Furse, la patronne de la Bourse de Londres, s’abstiennent. On apprendra plus tard que les Chinois auraient aimé que ce la se passe autrement. Et qu’ils pourraient encore créer des surprises...

Le lundi matin, c’est un Baudouin Prot conquérant qui présente le deal à la presse, à l’hôtel Sheraton de Bruxelles. Il a l’intelligence et la délicatesse de ne pas trop montrer le plaisir qu’il ressent d’avoir obtenu ce qu’il voulait et à un prix défiant toute concurrence. La jubilation est intérieure.

Le soir, la SNCF est en grève. Il reprend donc un avion pour assister à l’inauguration d’une exposition au Musée d’Orsay sponsorisée par la banque. Sur l’invitation est représenté le tableau de William Degouve de Nuncques : "Nocturne au parc royal de Bruxelles". Baudouin Prot y voit un signe du destin : le siège de Fortis ne se trouve-t-il pas rue Royale, face au parc royal de Bruxelles ?

Toute cette négociation s’est déroulée à la vitesse de l’éclair. Yves Leterme et Didier Reynders sont en première ligne. Les autres vice-premiers sont assez peu informés de tous les détails des discussions. Dimanche, toutefois, plusieurs collègues ont signalé aux négociateurs qu’ils n’étaient pas très heureux de la tournure des événements. Laurette Onkelinx, aurait beaucoup insisté pour que l’Etat conserve 25 pc plus une part dans Fortis Banque Belgium et ne cède "que" 75 pc contre des actions nouvelles à émettre par Paribas pour une valeur de 8,25milliards d’euros.

Mais finalement, côté PS, CDH, MR et CD&V, la pilule, amère certes, mais curative semble-t-il, ne passe pas trop mal.

Au VLD, par contre, c’est la révolte. La révolution. Pourtant, l’un des principaux négociateurs est Luc Coene, vice-gouverneur de la Banque nationale et... ancien chef de cabinet de Guy Verhofstadt. Dimanche après-midi, il a d’ailleurs pris soin d’informer les bonzes du VLD de l’opération en cours. Cela s’est très mal passé. Très, très mal. Karel De Gucht ne décolère pas. Il aurait préféré... la nationalisation pure et simple. Car, ce qu’il ne tolère pas, c’est que le gouvernement ait abandonné en rase campagne les actionnaires de Fortis...

Lorsqu’il débarque au 16 pour un kern, le dimanche soir, il est hors de lui. Déchaîné.

Il remet tout le compromis belgo-français en question. On lui fait remarquer que Luc Coene était là...

Luc Coene ce n’est pas le VLD... Didier Reynders, d’ordinaire assez patient, s’énerve. Vraiment :

-Mais qu’est-ce que tu cherches à la fin ? Que veux tu ? Est-ce que c’est ma démission que tu veux ? Si c’est cela que tu cherches, tu n’as qu’à la demander franchement, dit-il en substance à son collègue libéral.

Pendant ce temps-là, les autres ministres ont été convoqués pour un conseil des ministres qui doit se tenir en soirée. Ils discutent. Des éclats de voix leur parviennent. On vient leur expliquer l’objet de l’ire de Karel. Annemie Turtelboom arrive : Jo Vandeurzen se déchaîne sur elle, symbole du VLD, qui remet tout en question.

Les autres prennent cela avec une certaine philosophie. Des discussions à bâtons rompus ont lieu sur tout et sur rien. Melchior Wathelet, Marie Arena, Sabine Laruelle, Charles Michel, qui forment une petite équipe plutôt sympathique au sein du gouvernement, tombent d’accord. Pas sur un plan de relance. Sur un sujet un peu plus futile : Monica Bellucci est bien la plus belle femme du monde... Faut bien se détendre !

Dans le bureau d’à côté, le ton ne baisse pas. Didier Reynders et Yves Leterme se tiennent. Quoi qu’il arrive, ils maintiendront l’accord dans lequel on inscrira quand même cette phrase : "Il a également été veillé à trouver une solution équitable respectant les intérêts des petits porteurs." Huitjours plus tard, le gouvernement consentira à accorder aux titulaires d’actions Fortis, achetées avant le1er juillet2008, un coupon à encaisser en2014, et qui sera payé grâce aux éventuels bénéfices que l’Etat tirera de sa part dans BNP Paribas (11 pc).

Lorsqu’il retrouve certains de ses ministres, Didier Reynders, toujours énervé, lâche :

-Si un jour, Karel De Gucht a des problèmes avec Fortis, qu’il ne compte pas sur moi pour lui venir en aide...

Quelques jours plus tard, Didier Reynders sera un des premiers à s’interroger sur le sort de Karel De Gucht, soupçonné de délit d’initié dans cette affaire. Didier Reynders demandera Karel De Gucht de lever une trop longue "incertitude" et s’interrogera, sur le plateau de la RTBF : "Karel De Gucht peut-il encore fonctionner ?"

A suivre...

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