Secrets Bancaires
"La Libre" entame une enquête en treize épisodes sur les terribles semaines qui ont ébranlé le monde bancaire belge. Chacun, dans notre pays, s’est senti interpellé, concerné par l’effondrement des symboles de la finance nationale.
Chapitre 12 - ING, KBC et Ethias aussi dans la tourmente
Pour le gouvernement belge et le comité de pilotage censé l’assister dans cette terrible débâcle bancaire, les week-ends se suivent et se ressemblent depuis fin septembre. Les nuits sont consacrées à de longues et laborieuses négociations.
Chapitre 12 - ING, KBC et Ethias aussi dans la tourmente
ariane van caloen et francis van de woestyne
Mis en ligne le 05/12/2008
récit
Pour le gouvernement belge et le comité de pilotage censé l’assister dans cette terrible débâcle bancaire, les week-ends se suivent et se ressemblent depuis fin septembre. Les nuits sont consacrées à de longues et laborieuses négociations. Après avoir passé des heures et des heures à tenter de trouver une solution pour Fortis et Dexia, les voilà confrontés fin octobre au cas KBC.
L’incroyable est en train de se produire. La florissante banque flamande doit elle aussi faire appel à l’aide de l’Etat fédéral. Elle qui affichait une des meilleures performances boursières sur fond de résultats en hausse quasi constante au cours de ces dernières années. Elle qui disait avoir peu de "subprime". Elle qui ne s’était pas lancée comme Fortis dans un rachat trop ambitieux au plus mauvais moment. La solide "bank van hier" doit faire appel aux deniers publics. Peut-on le croire? Un scénario catastrophe pour tous les Flamands qui aiment fustiger les dérives d’une Wallonie trop assistée.
Mais, voilà, la tempête financière est passée par là et continue de tout dévaster sur son passage. Depuis quelques jours, c’est KBC qui se trouve dans l’œil du cyclone: son action a perdu 60 pc de sa valeur en un mois. Pire, le taux du Credit Default Swap (CDS), l’assurance crédit des marchés financiers, est en hausse brutale.
Le CDS est devenu un des indicateurs les plus regardés, y compris par les agences de notation, alors qu’il s’agit d’un produit traité en dehors des marchés régulés. Un problème de plus dans ce monde financier devenu complètement fou, diront certains. Qui pensent même que le marché du CDS est manipulé par les "short sellers" (vendeurs à découvert) voire quelques investisseurs diaboliques. Y aurait-il un Docteur Folamour derrière ce marché qui représente, selon certaines estimations, plus de 60 000 milliards de dollars? Certains économistes très sérieux ne sont pas loin de le penser.
Le CDS est une assurance-crédit en cas de faillite d’une institution. Plus le taux de cette assurance monte, plus cela reflète de la méfiance vis-à-vis de cette institution. Or, le CDS de KBC est monté vendredi 24octobre à environ 3,65 pc (du montant assuré) contre un niveau habituel de 0,5 pc. En clair, la banque KBC est devenue la nouvelle cible avec tous les risques que l’on connaît, à commencer par le gel des prêts des autres banques ou encore les retraits de dépôts de clients institutionnels.
Elle est devenue la nouvelle cible pour plusieurs raisons: tout d’abord, elle vient de révéler des provisions plus élevées que sur un portefeuille de crédits structurés à risque. Ensuite, elle souffre de sa forte implantation en Europe de l’Est. Or, un pays comme la Hongrie est au bord du gouffre. Elle est aussi la seule grande banque belge à n’avoir pas encore été soutenue par l’Etat. Comme dans le roman les dix petits nègres d’Agatha Christie, on se demande qui sera le suivant à passer à la trappe. Et tous les yeux se tournent vers la KBC. D’autant que quelques jours auparavant, le groupe néerlandais ING a dû être recapitalisé pour un montant gigantesque de 10milliards, soit la moitié de l’enveloppe prévue par le gouvernement des Pays-Bas.
"ING s’est retrouvé dans une tourmente où il n’avait plus de choix", raconte un banquier. L’objectif: remettre la solvabilité du groupe à des niveaux souhaités par les investisseurs (et supérieurs aux normes légales) et aussi créer les réserves nécessaires si jamais, l’important portefeuille (22milliards d’euros) investi dans les produits Alt A (NdlR: des prêts hypothécaires titrisés d’une qualité un peu supérieure du "subprime") nécessitait de nouvelles provisions.
L’instrument mis en place pour ING - des actions préférentielles - entraîne de la dilution en termes de bénéfices mais pas en termes de propriété. Comprenez par là: les actionnaires existants gardent le même niveau de droits de vote. Petite consolation pour eux Ces actions préférentielles donneront droit à un taux d’intérêt de 8,5 pc.
Le gouvernement hollandais ne se contente toutefois pas de ce rendement confortable. Ce qu’il veut c’est aussi que les banquiers aient une rémunération en ligne avec les pertes qu’ils annoncent. Y a pas de raison que seuls les petits actionnaires trinquent alors qu’ils n’y sont pour rien dans cette crise. Finis donc les plantureux bonus. Finis aussi les énormes parachutes dorés qui sont dorénavant limités à un an de salaire. Pour le Belge Michel Tilmant, le sacrifice n’est pas évident. Il était un des banquiers les mieux payés des Pays-Bas avec un salaire de 1,3million et un bonus de 2millions en 2007.
Si ING a dû être renfloué, les marchés commencent à craindre que KBC ne doive l’être aussi. Il n’y a donc plus de temps à perdre pour la banque flamande. Même si elle se résout la mort dans l’âme à demander une injection de fonds."On sent que cela doit lui coûter de venir quémander de l’argent", raconte un proche du dossier.
Les réunions ont lieu à la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA). Le CEO André Bergen est assisté de son directeur financier, Herman Agneessens, et d’un juriste. Les Luc Coene, Peter Praet, Françoise Masai et autre Jean Hilgers du comité de pilotage ont ce nouveau dossier sur la table. Ils ont pu voir comment a fait ING. C’est plus facile pour eux.
KBC arrive toutefois avec ses exigences: pas de dilution, dit-elle. Elle veut aussi limiter le potentiel de plus-value pour l’Etat belge. Mais du côté du gouvernement, on trouve la banque flamande un peu trop gourmande. Cela discutaille un peu. Du côté des négociateurs politiques, on ne cède pas. On obtient un droit de veto utilisable notamment en cas d’acquisition et deux postes d’administrateurs.
Les représentants de KBC se montrent aussi très réticents à renoncer aux bonus et autre parachutes dorés. D’autant qu’ils estiment n’être pas tombés dans les excès d’autres banquiers. Mais de nouveau, c’est un "niet". L’opération est bouclée en deux jours et est annoncée le lundi 27octobre. L’Etat injectera 3,5milliards d’euros. La banque annonce aussi qu’elle ne distribuera pas dividende. La note est salée pour l’actionnaire.
Du côté de l’assurance, un autre dossier est au centre des préoccupations. Il s’agit d’Ethias. La déroute de Dexia a provoqué des dégâts collatéraux qu’il faut résoudre au plus vite.
Le dossier Ethias est, sans conteste, le plus politisé de la crise financière belge. Ethias est l’héritière de la Smap, la société mutuelle d’administrations publiques, dont l’ancien patron, Léon Lewalle fut condamné à 4 ans de prison avec sursis pour détournement de fonds. Rebaptisée Ethias, la société est toujours une compagnie mutualiste d’assurance. Au fil des ans, elle est devenue un des premiers assureurs belges: plus d’un million de clients parmi lesquels des particuliers mais aussi, des communes et des pouvoirs publics. En 2007, Ethias a récolté plus de 3,8milliards d’euros de cotisations et ce, dans ses 4 caisses: accident de travail, incendie, vie et droit commun. Elle dispose d’un produit phare dans sa branche "vie": le compte First. Un produit de la "branche 21" qui connaît un succès fulgurant grâce à des caractéristiques très attrayantes: des commissions de gestion faibles et l’absence de pénalité de sortie. C’est d’ailleurs là que le bât blesse. Ethias fait de First un produit très liquide à l’image d’un compte d’épargne alors qu’il s’agit d’un produit d’assurance. Une politique qui s’avérera très risquée.
Surtout dans le contexte boursier. Car l’effondrement du cours de Dexia commence à poser des problèmes. Et pour cause. Ethias détient 5 pc du capital de Dexia: au cours du groupe franco-belge (environ 4euros l’action) la position d’Ethias représente quelque 235millions d’euros. Comme la valeur boursière de Dexia a été divisée par deux en quelques mois, Ethias a dû acter une moins-value de 235millions d’euros.
Les milieux politiques n’ignorent rien des difficultés d’Ethias car chacune des caisses de la société mutualiste est dirigée par des conseils d’administration très politisés. Pour les libéraux, qui déploient beaucoup d’énergie pour démontrer que la crise boursière et financière n’est pas une crise du libéralisme, l’occasion est belle de prouver que les sociétés à caractère public mordent également la poussière. Les socialistes, grands protecteurs d’Ethias, affirment que les libéraux ont voulu profiter de la crise d’Ethias pour mettre la main sur cet outil. Un dirigeant socialiste l’affirme: "On aurait fait tomber le gouvernement fédéral sans sourciller si les libéraux avaient poursuivi leur offensive sur Ethias". Les dirigeants d’Ethias, sachant leur société fragilisée, négocient depuis un certain temps et avec toute la discrétion voulue, un accord avec la société française Covea, une société mutualiste d’envergure à laquelle certains, chez Ethias, rêvent d’adosser la société belge. Mais voilà, fin septembre, les négociations échouent. Ethias se retrouve seule et confrontée à d’importants retraits de dépôts liés à la dégradation de sa notation par l’agence Fitch.
La Commission bancaire, constatant la fragilité d’Ethias, trop dépendante du cours de Dexia, rappelle Ethias à l’ordre afin qu’elle reste bien en conformité avec les normes prudentielles.
Et puis survient l’improbable, l’impensable. Le 18octobre, Guy Burton, le directeur général d’Ethias, annonce lui-même que sa compagnie éprouve des difficultés financières. Dans une interview au journal français "La Tribune", il confie qu’Ethias a besoin de 1,5milliard d’euros avant le mardi 21octobre à 10heures pour renforcer ses fonds propres. Les clients se précipitent dans les agences d’Ethias et clôturent leur compte. Normal: quand le patron d’une société d’assurances dit lui-même "je suis presque en faillite". Le monde politique est abasourdi. Les libéraux rient sous cape. "Burton? Il a les mêmes habitudes que Michel Daerden." Les socialistes s’interrogent? Pourquoi diable "La Tribune" est-elle allée interroger Guy Burton qui ne figure quand même pas au bataillon des grands patrons? Il ne faut pas attendre 3 jours avant que Guy Burton soit poliment remercié et remplacé par le directeur des relations internationales, Bernard Thiry.
Entre-temps, les trois Régions apportent à Ethias la bouffée d’oxygène dont elle avait besoin: 1,5milliard. Un montant énorme vu la taille de la société et vu aussi les dépôts sur les comptes First (entre 7-8milliards). Cela va d’ailleurs se payer"Il n’était pas question, explique un libéral, qu’Ethias, société d’assurance, continue à jouer au banquier et biaise la concurrence avec un produit attractif mais tronqué. De plus, il était urgent de revoir complètement le management d’Ethias". Ethias est donc contraint d’instaurer des frais de gestion supplémentaires ainsi que des frais de sortie en cas de départ anticipé du client du compte First.
De plus, la société est contrainte de subir un profond bouleversement dans sa structure puisque la société d’assurance mutualiste devra prendre la forme d’une société anonyme. Mais la société demeure un nid d’hommes politiques. Ses deux principales figures demeurent à la tête d’Ethias: Steve Stevaert, ancien président des socialistes flamands, gouverneur du Limbourg et Jean-Pierre Grafé (CDH).
En un peu moins d’un mois, les autorités politiques belges auront donc dû venir en aide à quatre institutions majeures du pays et débourser 22milliards d’euros. Ce qui représente en charge de la dette un montant de 450millions d’euros, soit un coût par ménage de 100euros.
Reste plus qu’à espérer que, la tempête financière passée, l’Etat et les Régions récupéreront leurs investissements
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