vendredi 26 décembre 2008

Secrets bancaires @ La Libre # 7



Secrets Bancaires

"La Libre" entame une enquête en treize épisodes sur les terribles semaines qui ont ébranlé le monde bancaire belge. Chacun, dans notre pays, s’est senti interpellé, concerné par l’effondrement des symboles de la finance nationale.





Chapitre 7 - La trahison des Hollandais
Le lundi matin, dès 8 heures, Jean-Claude Trichet appelle Guy Quaden et se montre très pessimiste: les besoins de Fortis dépassent visiblement ce que les Etats du Benelux ont accordé au groupe au cours du week end dernier. D’ailleurs, sur le marché, les prédateurs se déchaînent : l’action Fortis continue à être attaquée avec virulence.

Chapitre 7 - La trahison des Hollandais

Récit francis van de woestyne et ariane van caloen

Mis en ligne le 01/12/2008

Lundi 29 septembre 2008. Les héros belges, luxembourgeois et hollandais, qui ont sauvé Fortis d’une faillite certaine, du moins le croient-ils, respirent. Mais la satisfaction est de courte durée. Pour deux raisons : 1. Les Hollandais trahissent. 2. Les marchés ne croient pas au sauvetage de Fortis.

Le lundi matin, dès 8 heures, Jean-Claude Trichet appelle Guy Quaden et se montre très pessimiste: les besoins de Fortis dépassent visiblement ce que les Etats du Benelux ont accordé au groupe au cours du week end dernier.

D’ailleurs, sur le marché, les prédateurs se déchaînent : l’action Fortis continue à être attaquée avec virulence. Les spéculateurs ne croient pas que le groupe Fortis soit reparti sur des bases solides. La demande de liquidités est exceptionnelle et exponentielle. Le fameux vendredi noir, le 26 septembre, Fortis avait déjà fait appel à la Banque nationale et obtenu des “facilités régulières” admises aux banques pour un montant de 5 milliards d’euros. Mais, cette fois, les montants sont énormes : les apports de liquidités de secours accordés par la Banque nationale (ELA, Emergency Liquidity Assistance) s’élèvent à 51,3 milliards le mercredi et à 51,7 milliards le jeudi. Vertigineux. Ces crédits d’urgence sont nécessaires pour aider Fortis à honorer ses dettes vis-à-vis des autres banques car la crise de confiance est là. Fortis est devenu le valet noir des banques européennes.

Ces crédits d’urgence sont consentis à des taux très importants pour décourager les banques d’y recourir. Un peu comme avec les particuliers mais, bien sûr, pour des montants qui dépassent l’entendement. La Banque nationale doit, chaque fois, demander l’accord de la Banque centrale européenne qui ne peut agir sans le consentement explicite de l’ensemble de son directoire et de quinze gouverneurs des banques nationales des pays membres de l’Eurozone. En quelques jours, il y aura pas moins de quinze téléconférences pour accorder des “Emergency Liquidity Assistance” à des banques belges (Fortis et Dexia), mais aussi allemandes et irlandaises.

La situation est d’autant plus délicate qu’une partie des montants que Fortis doit honorer sont en dollars. Ce qui oblige à faire appel à la Réserve fédérale américaine.

Ces crédits, exceptionnels, permettent à Fortis de tenir. Mais la banque est en fait aux soins intensifs, dans le coma le plus intense et elle ne vit que grâce à l’argent qui lui vient de la Banque nationale pour des montants de plus en plus importants.

Fortis ne peut obtenir de tels prêts sans déposer des éléments en garantie. Quand il n'y a plus de "papier", la banque doit se résoudre à mettre ses bâtiments en garantie avant que le gouverneur, Guy Quaden, "signe les chèques". Un jour de cette semaine-là, Fortis n'a d'autre choix que de mettre tout son patrimoine immobilier en garantie. Oui, tous les bâtiments, les sièges, les agences... Mais encore faut-il l'identifier et l'évaluer. Ce sera un nouveau travail de fourmi pour les juristes. Notons au passage que la Région bruxelloise profite, en douceur, de tout ce tremblement de terre bancaire : car, chaque fois qu'un bien est mis en garantie, elle perçoit des droits d'enregistrement.

Guy Quaden accorde donc des aides en urgence mais en tremblant... Le bilan de la Banque va doubler. D'ailleurs, lorsqu'il arrive aux réunions des gouverneurs, il est maintenant considéré, par ses pairs, comme "le plus grand banquier de Belgique, si pas d'Europe..." Cela ne peut plus durer. La Banque nationale de Belgique est au plafond de ce qu'elle peut obtenir de la part des autres banques centrales. Il y va, à présent, de la stabilité de la Banque nationale de Belgique, voire même de la Belgique. D'autant que, Guy Quaden le sait, d'autres institutions belges sont aux abois.

Une fois de plus, la question se pose : que faire ?

C'est évident. L'opération qui visait à faire entrer les Etats du Benelux dans le capital de la banque a échoué et n'a pas convaincu les marchés. Il va falloir passer au plan B. Ceux qui, dès le premier week end, réclamaient déjà que l'on examine avec plus d'attention l'offre de BNP Paribas se sentent confortés. La ligne de partage entre les partisans d'une nationalisation pure et dure et l'adossement à un autre groupe bancaire traverse tous les partis. Les libéraux francophones ne souhaitent pas que l'Etat reste trop longtemps dans la banque. Les libéraux flamands, on le verra, défendent plutôt la nationalisation. Le gouverneur de la Banque nationale, Guy Quaden, exprime aussi une préférence pour un adossement à un groupe bancaire solide. Heureusement, les Français sont toujours derrière la porte. Mais ils ont mis ces quelques jours à profit pour examiner en profondeur les comptes du groupe : un vrai travail de spéléologue. Quant au groupe ING, dont l'action était aussi mise sous pression, il fait savoir dès le lundi qu'il n'est plus dans la course.

L'autre problème se situe donc chez nos voisins du Nord, les Hollandais. Pourquoi remettent-ils en question leur accord du dimanche soir ? Il faut bien reconnaître qu'à cette question, de nombreux interlocuteurs, plutôt connus pour leur ouverture d'esprit et leur rejet viscéral du nationalisme, répondent : "Les Hollandais n'ont pas tenu leur parole... parce que ce sont des Hollandais !" C'est-à-dire? Là-bas, plus que chez nous, peut-être, les affaires sont les affaires. Pas de quartier, pas de sentiment. Rien que des chiffres. On compte, on paie. Ou, en l'occurrence, on ne paie pas. Car si, le lundi matin, l'Etat belge verse les 4,7 milliards promis pour l'entrée dans le capital de Fortis Banque à concurrence de 49,9 pc, si les Luxembourgeois font de même dans les jours qui suivent, à hauteur de 2,5 milliards pour Fortis Luxembourg, les Hollandais ne délient pas les cordons de leur bourse.

Le lundi 29 septembre, vers midi, les Hollandais envoient de "mauvais signaux" et font savoir qu'ils ont un problème. Plusieurs versions circulent. Ils auraient découvert que les actions de Fortis Verzekeringen ont été données en gage pour le portefeuille de produits structurés. Question : l'ont-ils vraiment découvert le lundi matin ?

Côté belge, on tombe des nues et on affirme que les Hollandais avaient été prévenus, lors de la négociation du dimanche, que Fortis Holding devait disposer de montants nécessaires pour garantir les produits structurés. Et que les assurances néerlandaises ont servi à cela.

Bref, la riposte hollandaise est nette et brutale, "grossière" dira même un top manager : "Ces produits structurés, ce sont vos affaires, c'est à vous de les prendre en gage", lancent nos voisins. Il est vrai qu'en coulisse, les Hollandais n'hésitent pas à dire que les Belges sont des "nains bancaires"...

Les Belges ont le sentiment que les Hollandais cherchaient surtout une excuse pour se dérober. De toute façon, il est clair qu'il n'y avait plus aucune confiance entre les négociateurs. Les Belges sont en plus persuadés qu'une "taupe", plutôt bien placée dans le groupe Fortis - et toujours non identifiée à ce jour...-, informe en permanence les Pays-Bas. Le climat est donc exécrable. Il faut dire aussi que les négociations ont été principalement menées avec le ministre des Finances, Wouters Bos. Mais le vrai patron, aux Pays-Bas, c'est Jan Peter Balkenende (ami personnel d'Yves Leterme, qui ne semble pas satisfait de la moisson de son ministre. C'est que les Hollandais n'ont toujours pas récupéré leur banque chérie, ABN Amro, raflée en 2007 par le trio Fortis-RBS-Santander. De là à dire qu'ils ont agi par esprit de revanche, c'est aller un peu loin. Mais la rancœur est bien là.

Les Belges sont d'autant plus méfiants avec les Hollandais qu'avec les Luxembourgeois, tout se passe pour le mieux : les relations sont cordiales, voire amicales et parfaitement équilibrées. Enfin, tout est relatif, car les Luxembourgeois profitent quand même de la situation pour mettre le grappin, au passage, sur quelques pépites en plus. Ils rachètent pour un euro la participation de Fortis dans le groupe d'ingénierie industrielle Paul Wurth (11 pc) et dans la Banque du Luxembourg (15 pc).


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