"La Libre" entame une enquête en treize épisodes sur les terribles semaines qui ont ébranlé le monde bancaire belge. Chacun, dans notre pays, s’est senti interpellé, concerné par l’effondrement des symboles de la finance nationale. stephanie fontenoy Mis en ligne le 26/11/2008 récit Les bras chargés de cartons, des employés en jeans et baskets émergent au compte-goutte des portes tournantes d’une grande tour des affaires, plantée non loin de la cohue de Times Square, en plein centre de Manhattan. Sur le mur anthracite, le nom de l’établissement s’inscrit en relief argenté : Lehman Brothers Holdings Inc, la quatrième banque d’investissements des Etats-Unis. En ce dimanche 14 septembre, l’activité a quelque chose d’inhabituel. Pourquoi les employés de la firme sont-ils venus à la hâte chercher leurs effets personnels ? Ils n’en ont pourtant pas reçu l’ordre. Mais, inquiets, ils se préparent au pire. Au début de la semaine, les actions de la société ont chuté de 50 pc. Les résultats du dernier trimestre sont catastrophiques. Depuis quelques jours, les canaux de communication interne à l’entreprise sont brouillés. La direction, qui multiplie les réunions derrière des portes closes, reste muette. Les chefs de service informent comme ils peuvent leurs équipes sur une situation dont personne, semble-t-il, n’est capable de prendre la mesure. Au matin du lundi 15 septembre, c’est le choc. Le PDG de Lehman Brothers, Richard Fuld, dépose le bilan de cette société phare de la finance américaine, fondé 158 ans plus tôt. "C’était complètement inattendu", raconte Marian, qui faisait partie des 26 000 salariés du groupe. "Nous avions tellement foi en notre compagnie et en la direction. Malgré les mauvais résultats, personne ne pensait que nous pourrions faire faillite. Honnêtement, notre culture d’entreprise nous avait inculqué que la société était forte, et que d’une certaine manière, nous nous en sortirions de cette crise comme nous nous étions sortis des crises précédentes", poursuit cette comptable, licenciée dans la foulée. Quatre mois plus tôt, Bear Stearns, une autre des "Big Five", les cinq grandes banques d’investissements qui faisaient la fierté de Wall Street, avait échappé de peu à un destin similaire. Ses employés avaient protesté contre son rachat par la banque commerciale JP Morgan Chase, pour deux dollars l’action. Mais ce montant, aussi ridicule fut-il, était toujours préférable à une banqueroute pure et simple. Le rachat de Bear Stearns avait été encouragé par la Réserve Fédérale américaine, qui avait prêté 30 milliards de dollars à JP Morgan Chase pour mener à bien cette opération de sauvetage. Il en fut décidé autrement pour Lehman Brothers, la première, et la seule à ce jour, grande institution financière américaine à disparaître complètement dans la tourmente actuelle. "Le sauvetage de Bear Stearn par JP Morgan Chase a mis en lumière la possibilité de sérieux problèmes et de faiblesses dans le bilan financier d’autres banques d’investissements", rappelle Irene Finel-Honigman, professeur à l’université de Columbia à New York et spécialiste de l’histoire des institutions financières. "C’est un problème que nous pouvons identifier maintenant comme propre à ce secteur des banques d’affaires mais aussi à celui des 'private equity’ et des 'hedge funds’. Le problème est l’absence de régulation obligeant ces institutions à plus de transparence et une responsabilité face à la prise de risque." Pour les employés de Lehman Brothers, l’annonce de la faillite tombe néanmoins comme un couperet. Au Tonic Bar ce lundi 15 septembre, certains noient leur dépit dans leur bière, avec clairement le sentiment qu’on les a "laissé tomber"."Ils ont tout foutu en l’air", peste un trader, attablé avec deux amis. Les trois collègues dénoncent "l’incapable Paulson", le Secrétaire américain au Trésor qui a laissé couler la banque d’affaires sans intervenir. D’autres dirigent leur animosité envers Richard Fuld, leur PDG. "C’est compréhensible", souligne Marian, la comptable qui travaillait au siège de New York. "Fuld dirigeait la compagnie depuis près de 15 ans. Tout ce qui s’est passé est arrivé sous son contrôle. Il aurait pu vendre avant ou conclure un accord qui aurait plu au Trésor, mais il ne l’a pas fait." Ou, si Richard Fuld a tenté quelque chose pour sauver sa compagnie, c’était trop peu et trop tard. Ses appels a des investisseurs étrangers, en Chine et au Koweït, dès 2006, sont restés lettre morte. Des discussions sont bien entamées en 2007 avec de solides partenaires potentiels, comme la banque de dépot américaine Bank of America et la Britannique Barclays. Mais, sans l’appui du Trésor, celles-ci se désisteront. Mi-juillet 2008, Richard Fuld se résout finalement à demander le changement de statut de banque d’affaires à banque commerciale pour Lehman Brothers, afin de bénéficier de la protection des autorités. Mais Timothy Geitner, le président de la Réserve fédérale de New York, refuse. Le sol tremble de plus en plus sous les pieds du géant de la finance, embourbé dans la crise des subprimes, ces prêts immobiliers peu sûrs transformés en produits financiers juteux mais très risqués. Le financement de la banque, selon le modèle dit de "l’effet de levier", qui consiste à s’endetter fortement pour dégager ensuite des bénéfices substantiels sur investissement, se grippe avec l’éclatement de la bulle immobilière durant l’été 2007. Au second trimestre 2008, Lehman Brothers accuse une perte de 2,774 milliards de dollars, un montant historique, d’autant plus inquiétant qu’il est dix fois supérieur aux prévisions. L’établissement est désormais déficitaire : le produit net bancaire, équivalent du chiffre d’affaires, est négatif sur le deuxième trimestre, de 668 millions de dollars, en raison d’importantes dépréciations d’actifs. Les chiffres du troisième trimestre, annoncés le 10 septembre, sont abyssaux : moins 3,9 milliards de dollars. C’est dans ce contexte, et avec le scénario de Bear Stearns qui a frôlé la catastrophe quatre mois plus tôt en tête, que Richard Fuld entame des négociations de la dernière chance. Le week-end des 13 et 14 septembre, le patron de Lehman Brothers multiplie les réunions pour sauver in extremis la compagnie. Il semble être le dernier à y croire. Consultés, les PDG des grandes banques d’investissements ne bougent pas. Au siège de la Réserve fédérale de New York, dans le sud de Manhattan, Timothy Geitner, Ben Bernanke, le président de la FED et Henry Paulson, réfléchissent déjà à l’après-Lehman Brothers. Le lundi matin, la prestigieuse banque d’affaires n’est plus. Le lendemain, Barclays, qui avait refusé d’être le "sauveur" de Lehman en rachètera les meilleurs restes, pour une bouchée de pain Malgré ce triste épilogue, personne ne verse de larmes pour Richard Fuld. Pur produit de Lehman Brothers, doté d’une personnalité que l’on dit difficile, celui-ci entré dans la compagnie 42 ans plus tôt comme simple courtier, et en a gravi tous les échelons. Des accusations, non vérifiées à ce jour, pèsent sur lui. On lui reproche d’avoir camouflé jusqu’à la dernière minute l’étendue des pertes et d’avoir cacher la vérité aux investisseurs. Le montant de ses primes, estimé à environ 500 millions de dollars sur ces huit dernières années, a fait bondir les membres du Congrès américain qui l’interrogeaient en octobre sur sa gestion de la compagnie. Mais celui-ci assure ne rien avoir à se reprocher. "Au mieux que je pouvais le faire à l’époque, étant donné les informations dont je disposais, nous avons fourni les résultats que nous pensions tout à fait corrects à ce moment là", affirme-t-il alors devant les parlementaires. Quelle que soit la part de responsabilité de Richard Fuld, le motif qui expliquerait pourquoi Lehman Brothers a été "lâché" alors que l’Etat est intervenu auprès des autres grandes banques d’investissements, autorisant notamment Goldman Sachs et Morgan Stanley à modifier leur statut, reste un mystère. Certaines rumeurs suggèrent un règlement de compte personnel : Henry Paulson, le Secrétaire au Trésor, ancien PDG de Goldman Sachs, aurait voulu faire mordre la poussière à sa rivale Lehman Brothers. Mais les raisons "structurelles" ne manquent pas. "Lehman Brothers avait des offres de rachat quelques mois plus tôt, que son directeur a refusé. En quelque sorte, il a payé le prix de son entêtement", fait remarquer Rama Cont, directeur du centre pour l’ingénierie financière à l’Université de Columbia et directeur de recherche au CNRS. D’un autre côté, poursuit l’expert, "la FED et le Trésor n’avaient pas une visibilité suffisante du marché financier. Ils ne pouvaient pas anticiper les conséquences des événements qui se déroulaient sous leurs yeux. A l’époque, très peu d’observateurs ont pu comprendre l’impact de la faillite de Lehman Brothers". "Un catalyseur" : pour le professeur Finel-Honigman, la faillite de Lehman Brothers est le détonateur qui a signalé aux marchés l’ampleur et la sévérité de la crise, provoquant une réaction en chaîne. "Il y a eu deux signaux : le premier étant que Lehman n’avait pas admis son niveau d’exposition à la crise du subprime, et que l’institution n’était apparemment pas préparée à gérer ce genre de crise", affirme l’experte. "Deuxièmement, le fait que les autorités n’interviennent pas pour empêcher sa chute a semé la panique sur les marchés, car il est devenu clair que plus personne n’était capable de stopper l’hémorragie". L’expression la plus en vogue alors à Wall Street est "Game over", la partie est terminée. "Les acteurs financiers qui avaient assisté au sauvetage de Bear Stearns auraient pu s’attendre à une répétition de ce scénario", se souvient Rama Cont, avant d’ajouter : "C’est ce qu’on appelle l’aléa moral, la notion que si l’Etat sauve un acteur économique qui a fait des erreurs de gestion, il donne en fait une assurance gratuite aux autres acteurs économiques, et les incite à la prise de risque". La chute de Lehman Brothers signalera le contraire. Dans les annales de l’histoire, ce lundi 15 septembre 2008 restera inscrit comme un lundi noir, qui a vu l’effondrement des cours des grandes bourses mondiales et a mis à jour les sérieux dysfonctionnements du système financier américain basé sur la dérégulation. Tous les piliers de la finance américaine se lézardent: une semaine seulement après la quasi-nationalisation des deux géants du refinancement du crédit, Fannie Mae et Freddie Mac, la banque d’affaires Merrill Lynch est finalement absorbée par sa consoeur commerciale Bank of America. Le premier assureur américain, American international Group (AIG) est au bord de la déconfiture pour avoir investis massivement dans les CDS (Credit Default Swap), des produits financiers jugés les plus risqués. Il sera finalement renfloué par l’Etat. La purge et le mouvement de concentration dans les grandes banques commerciales commence. Le système financier né sur les cendres de la bulle internet se redessine. "Comme l’a affirmé Henry Paulson, le Secrétaire au Trésor, le sauvetage de Lehman Brothers n’aurait pas nécessairement prévenu la crise, et sa chute n’en était pas non plus la cause directe. Mais cette faillite a été le catalyseur qui a entraîné, en un mois, la redéfinition du modèle américain de la banque d’investissements, du nombre d’institutions, de leur statut, de leur structure, et des opérations futures", poursuit Mme Finel-Honigman. La disparition de Lehman Brothers déclenche une onde de choc aux multiples répercussions, jusque dans l’économie réelle. La crise des prêts subprimes est-elle la seule responsable ? "C’est elle qui a déclenché la crise, mais si vous regardez les montants initiaux des prêts, il n’y a pas de communes mesures avec les pertes globales des banques", affirme Rama Cont, spécialiste de la modélisation quantitative de la finance. "C’est l’effet de levier qui a agi comme une loupe, magnifiant les gains en temps de croissance boursière, mais également les dettes en période de déclin". L’effet domino est enclenché. D’invincibles, les banques d’investissements deviennent soudainement vulnérables et peu fiables. Le marché bancaire devient très risqué. Les banques, suspicieuses les unes des autres, hésitent à se prêter entre elles. La crise des liquidités et du crédit commence Dans l’intervalle, l’épidémie du subprime poursuit ses ravages dans le reste du monde. "Bien que la crise ait débuté aux Etats-Unis, il devient évident, à partir du 1er octobre, que les banques européennes et suisses ont été bien plus exposées au risque du subprime qu’il n’avait été admis", explique Irene Finel-Honigman. Les commentateurs économiques et le futur président des Etats-Unis, Barack Obama évoquent de plus en plus "la crise financière la plus grave depuis la Grande Dépression (de 1929)". Avec le recul, il devient évident que la chute de Lehman aura été un moment charnière. Un constat qui n’a pu se faire qu’à posteriori, selon Rama Cont, car"les intervenants du secteur ne disposaient pas d’une cartographie du système financier qui aurait pu leur permettre de dire que Lehman Brothers était une des clés de voûte du système financier". Aujourd’hui, sur le mur anthracite près de l’entrée de la banque d’affaires disparue, sa plaque a été remplacée par celle de Barclays Capital. Les grands écrans numériques qui donnent vie à la façade sont toujours là, mais ne raconte plus la même histoire. A suivre... Belga Mis en ligne le 26/11/2008 Il y avait foule mardi, aux guichets des banques pour souscrire aux nouveaux bons d'Etat. Une ruée d'autant plus étonnante, que cet outil d'investissement n'avait, jusqu'il y a peu, plus les faveurs des investisseurs, rapporte ce mercredi le journal Gazet van Antwerpen. La demande était forte mardi pour ce nouvel emprunt d'Etat, assorti d'un coupon minimum de 3,10%. Dès l'ouverture des banques, des clients étaient là pour souscrire aux nouveaux bons. Un regain d'intérêt qui ne surprend guère dans le monde bancaire. Par les temps qui courent, l'épargnant cherche désormais la sécurité.Secrets Bancaires
Chapitre 4 -La partie est finie
Dans les décombres du fleuron de la finance qui s’effondre le 15 septembre, les excès des banques d’investissements et des prises de risques inconsidérées. La purge commence.Chapitre 4 -La partie est finie
Ruée sur les bonds d'Etat
jeudi 25 décembre 2008
Secrets bancaires @ La Libre # 4
Dans les décombres du fleuron de la finance qui s’effondre le 15 septembre, les excès des banques d’investissements et des prises de risques inconsidérées. La purge commence.
Dès l'ouverture des banques, des clients étaient là pour souscrire aux nouveaux bons. Un regain d'intérêt qui ne surprend guère dans le monde bancaire. Par les temps qui courent, l'épargnant cherche désormais la sécurité.
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