jeudi 13 décembre 2007

Lu sur la toile


Travailler «en échange» d’un salaire, nous sommes nombreux et nombreuses à devoir le faire (à l’exception des travailleurs-ses indépendant-e-s que l’idéologie libérale amalgame trompeusement aux patrons). L’idéologie dominante nous présente notre situation comme un «échange» équitable, en bonne et due forme. Ceux et celles qui détiennent le capital paient ceux et celles qui ne le détiennent pas et qui vendent leur force de travail pour vivre. En réalité, cette situation n’a rien d’un choix, elle nous est imposée par le système capitaliste et l’État, et nous est rappelée au besoin par la contrainte.

Cette description de l’ordre économique qui s’impose à nous repose sur un mythe : celui d’une égalité théorique entre les deux parties «contractantes», le patron d’un côté (et le cas échéant les actionnaires qu’il représente), le travailleur ou la travailleuse salarié (note : en cohérence avec les mêmes autres mots dans le texte) de l’autre. Entre les deux, le «contrat de travail».

La dictature en entreprise
Mais nous pouvons voir en tant que travailleurs et travailleuses salariés que cette belle théorie est un mensonge, parce que nous le vivons dans notre chair et notre dignité au quotidien :

— Nous sommes placés sous la dépendance, sous la domination hiérarchique du patron et de ses représentants. Toute la propagande en vogue dans les boîtes, qu’elles soient petites ou grandes («On est une grande famille», «on a les mêmes intérêts au final», «on est tous dans le même bateau»), ne peut masquer cette réalité : le salariat, c’est d’abord un lien de subordination, c’est-à-dire une situation de domination hiérarchique de l’employeur (le patron et ses représentants patentés) sur l’employé (le travailleur ou la travailleuse salarié). À la clé, harcèlement, retenues sur salaire, brimades, menace et chantage au licenciement et l’ultime étape, le licenciement, avec en prime la galère et tout son cortège d’impayés, d’huissiers et de misère…

Racket organisé
— Les richesses que nous créons en tant que travailleurs et travailleuses nous sont volées. Ce que l’on appelle communément le «profit», c’est le vol légal et organisé des produits du travail par le Capital (actionnaires et patrons). Le profit est justifié par l’idéologie dominante comme la juste rétribution du risque, et de l’investissement de capital dans l’entreprise. Mais ce capital investi a lui même été obtenu le plus souvent par un vol antérieur du même type. Les travailleuses et travailleurs salariés risquent tous les jours leur santé, mais aussi leur boulot. Mais surtout, tout cela repose sur la conviction que la hiérarchie est nécessaire dans l’entreprise, et que le patron crée des richesses. Mais ce sont les travailleuses et les travailleurs qui créent ces richesses, par leur travail. Les capitaux ne créent rien en eux-mêmes. Il est surtout possible de se passer de patrons (les expériences autogestionnaires et le principe coopératif comme celui des SCOP le montrent). Dès lors le patronat apparaît pour ce qu’il est réellement : un groupe parasitaire qui s’enrichit du travail des autres. Comme le dit l’adage, «les patrons ont besoin de nous, nous n’avons pas besoin d’eux». Les richesses sont le produit de l’intervention de multiples travailleuses et travailleurs dans le processus de production. Toutes et tous sont nécessaires, il n’y a donc pas de raisons que certains s’accaparent une plus grande part des richesses créées et/ou qu’ils exploitent le travail des autres. Tout l’encadrement hiérarchique dans l’entreprise n’a «d’utilité» que pour organiser le vol légal, sous forme de profit, des richesses que les travailleuses et les travailleurs créent. Une organisation collective de l’économie rendrait inutile cet encadrement, la gestion directe et partagée de l’économie par des assemblées de travailleurs et travailleuses, sous le conseil de techniciens comme experts et non comme décideurs (note : on ne met pas de féminin s’il s’agit de «techniciens»), permettrait de restituer l’intégralité des fruits du travail aux producteurs selon le principe communiste libertaire «de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins».

La bourgeoisie à l’offensive : augmenter le magot
Que ce vol des richesses par les actionnaires et les patrons soit légal dans le système actuel n’enlève rien au fait qu’il s’agit d’un racket organisé, au quotidien. La lutte de classes qui oppose classes laborieuses et patronat/actionnaires vise pour les seconds à voler une part toujours plus grande des richesses produites, et pour les premiers à récupérer ce qui lui est volé légalement dans le système économique capitaliste. La bourgeoisie (actionnaires et patrons), consciente de ses intérêts mène l’offensive sur ce terrain : en France, en 30 ans, la part des richesses créées allant aux actionnaires et aux patrons a augmenté de 10% en passant de 30 à 40% alors que la part allant au travail (sous la forme des «salaires») a diminué de 10% en passant de 70 à 60%. Tout cela, alors que dans le même temps, la productivité du travail n’a pas cessé d’augmenter.

Travailler plus pour payer plus et gagner moins
Depuis plusieurs dizaines d’années, les gouvernements de gauche comme de droite multiplient les cadeaux au patronat en s’attaquant à la part du salaire qui est socialisée. C’est une part de notre salaire à laquelle les patrons peuvent s’attaquer d’autant plus facilement qu’elle n’est pas aussi directement visible sur notre compte en banque que le salaire lui-même. En effet, elle nous revient de manière indirecte sous forme de remboursements de soins, d’allocations chômage, de pensions retraite. Les diminutions successives de tous ces reversements constituent bien des baisses de salaire effectives. Elles se traduisent indirectement par la casse des retraites, de la sécurité sociale, de l’assurance chômage tout en asséchant artificiellement les caisses de la sécu. Il s’agit ici d’un sabotage organisé.

C’est «l’État» qui, nous dit-on, compense une partie de ces cadeaux aux patrons. Or cette compensation n’est pas intégrale, puisque plus de deux milliards et demi d’euros ne sont pas reversés. Qui plus est, ce n’est pas l’État comme classe dirigeante, mais bel et bien les contribuables, c’est-à-dire les travailleuses et les travailleurs, qui payent l’addition à la place des patrons : CSG, RDS, mais aussi projets de «TVA sociale», alors que dans le même temps les prestations sociales baissent (déremboursement, franchise médicale, flicage des chômeurs, augmentation des annuités retraite). L’objectif, c’est de réduire le plus possible la contribution patronale (en augmentant le vol légal qu’est le profit), et d’augmenter la participation des travailleurs-ses, tout en ouvrant de nouveaux marchés juteux aux capitalistes : fonds de pensions, assurances médicales viennent, ou viendront pour ceux qui le pourront, compléter des pensions et des remboursements de plus en plus misérables. Avec pour conséquence de faire payer les malades (tout en les culpabilisant) et engraisser des fonds d’assurance plus préoccupés par le profit que par la santé des souscripteurs.

Le «trou de la sécu» est ainsi un mythe, puisqu’il a été créé artificiellement par le patronat et les gouvernements successifs dans le but de saboter la sécurité sociale, par les exonérations de charges (dont les dernières en date sont les exonérations des heures supplémentaires) et le non reversement de taxes sur les alcools et tabacs. Le «trou» annoncé représente 12 milliards d’euros, quand les dettes de l’État à la sécu représentent 25 milliards d’euros, et que les exonérations, qu’il ne compense qu’en partie, représentent 28 milliards d’euros chaque année. Largement de quoi combler un «trou» qui n’est que la faillite organisée de la sécu par l’État !

Organisons-nous pour lutter
Ce sont essentiellement les exonérations de «charges» qui ont permis aux capitalistes de voler toujours plus aux travailleuses et aux travailleurs. Les patrons étaient obligés de rendre jusque-là par ce biais une part de ce qu’ils volaient (le profit) pour alimenter les caisses de retraites, de sécurité sociale, d’assurance chômage. Ce principe a été conquis en 1945, comme concession d’un patronat discrédité par sa collaboration avec l’occupant nazi pour prévenir toute éventualité révolutionnaire dans un contexte de guerre froide, alors que le mouvement ouvrier était à l’apogée de sa force.

Depuis lors, le patronat n’a eu de cesse de récupérer le fruit de ces concessions forcées, en profitant de l’affaiblissement du mouvement ouvrier.

La généralisation de la grève en Mai 68 et la crainte d’une situation révolutionnaire ont conduit à d’autres concessions temporaires, sous la forme de fortes augmentations de salaires après les accords de Grenelle, dans le but d’acheter un retour au calme. Ces augmentations ont été rapidement compensées par le biais de l’inflation, la hausse des prix permettant de récupérer d’une main ce qu’ils avaient fait mine de rendre de l’autre. La caisse noire de l’UIMM (fédération patronale de la métallurgie affiliée au MEDEF), découverte récemment et dont le montant dépasse 168 millions, qui vise à soutenir financièrement les patrons face aux grèves (mais aussi à «fluidifier les relations sociales» sous forme de corruption de politiciens et de bureaucrates syndicaux), montre la volonté de la bourgeoisie de défendre ses intérêts de classe.

Face à cette volonté organisée, les bonnes habitudes des origines du mouvement ouvrier se sont perdues (caisse de grève, solidarité de classe…), sous l’effet de l’idéologie dominante visant à détruire toute solidarité chez les exploité-e-s. Mais les exploiteurs, bien organisés pour défendre leurs intérêts, nous rappellent si besoin était que la lutte de classes est bel et bien une réalité, et que nous avons tout intérêt à nous organiser nous aussi et à être solidaires, à lutter pour l’abolition du salariat.

Sam (groupe de Seine-saintDenis)

Infos & analyses libertaires no 68, novembre-décembre 2007

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