lundi 12 novembre 2007

Commentaires sur la Nouvelle CCT chez Fortis

Christian Bodiaux Diplômé de l’Institut des sciences du travail (IST) de l’UCL

Chez Fortis, la lutte contre les discriminations a bon dos

mercredi 24 octobre 2007, 08:46

L’édition du Soir de ce jeudi 11 octobre dernier titrait à la « une » et développait sur toute une pleine page de la rubrique économie que c’en était fini du salaire selon l’âge, c’est-à-dire des barèmes d’évolution salariale. Pourquoi donc ? En raison de la signature annoncée d’une convention collective de travail (CCT) qui sera apparemment d’application chez Fortis Banque à partir du 1er janvier 2008.

Cette CCT supprimerait les barèmes, sous prétexte de se conformer à la directive européenne 2000/78/CE du 27 novembre 2000, « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail », et transposée en droit belge par la loi du 10 mai 2007 (publiée le 30 mai au Moniteur) « tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ».

Ainsi, Fortis Banque aurait créé un précédent en matière d’adaptation des entreprises belges à cette directive, remplaçant les barèmes par un système de rémunération liée pour partie au mérite.

De quoi s’agit-il au juste ? Parmi d’autres discriminations, la directive traite de celles liées à l’âge des travailleurs. C’est bien de l’âge qu’il est question.

Or, les échelles barémiques, remises en cause semble-t-il par la CCT de Fortis Banque, déterminent l’évolution salariale d’un travailleur, non pas en fonction de son âge, mais bien de son ancienneté. Cette distinction est d’importance. De fait, le système des barèmes est une manière de rémunérer l’expérience des travailleurs, partant du principe qu’un travailleur déjà ancien aura davantage d’expérience qu’un nouveau venu.

Cela admis, on sort de facto du cadre des discriminations supposées quant à l’âge des travailleurs. La remise en cause du système barémique résulte donc d’une interprétation hâtive et abusive de la directive, qui n’impose en rien une telle modification des relations de travail.

Allons plus loin. Il y a distorsion de l’esprit de la directive, qui prend soin d’établir une distinction nette entre « discrimination » et « différence de traitement » dans ses considérants (nº 25). Si la directive vise effectivement à la suppression des discriminations, elle admet les différences de traitement qui pourraient se justifier par ailleurs, toutes dispositions du droit communautaire étant respectées.

C’est ainsi qu’en son article 6, elle justifie le maintien de différences de traitement fondées sur l’âge. Je cite : « Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre : b) la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi. » Difficile d’être plus clair : l’ancienneté dans l’emploi peut donner accès à des avantages liés à cet emploi. Les échelles barémiques fonctionnent sur ce principe même : à ancienneté croissante, rémunération croissante. Nulle discrimination ici.

Essayer de faire passer la suppression du système d’évolution barémique chez Fortis Banque pour un souci de conformité anticipative avec le droit européen était habile. J’y vois deux avantages. Le premier consiste à se couvrir grâce à la rengaine habituelle : c’est la faute à l’Europe, on n’y peut rien… Le second est de donner à cette opération un caractère vertueux : c’est par le souci, ô combien louable, de lutter contre les discriminations, qu’on a supprimé les barèmes.

Restons sérieux. La remise en cause du système barémique par certains milieux patronaux est récurrente. Ce système jugé coûteux favoriserait l’inertie des travailleurs. C’est oublier, comme dit plus haut, qu’il s’agit d’une façon de rémunérer l’expérience. Mais alors, puisque les barèmes visent à valoriser l’expérience des travailleurs (et donc le surcroît de productivité que cette expérience suppose), et vu que c’est justement cet objectif que recherche le salaire au mérite, où est le problème ? Eh bien, le problème est que les barèmes jouent sur le mode collectif, tandis que le salaire au mérite ne concerne qu’un individu.

Or, on constate depuis des années que les relations « collectives » de travail tendent en réalité à s’individualiser. Ce modèle individualiste est présenté comme une libération pour le travailleur, désormais affranchi des pesanteurs réglementaires, libre de donner sa pleine mesure et d’en toucher la récompense directe. Si ce type de relation de travail est souvent préféré par les cadres au potentiel élevé, il peut se révéler dommageable pour les employés situés à la base de la pyramide. Souffrance au travail, pression, sentiment d’isolement et méfiance entre collègues, tous tenaillés par la même angoisse et les mêmes objectifs de productivité…

Ce système n’est-il pas idéal pour mettre les employés en concurrence, chacun devant veiller non seulement à ses performances personnelles, mais aussi à celles de ses collègues ? En effet, à lire l’article du Soir, la part de la rémunération variable dépendra de la productivité du travailleur, de celle de sa « business unit », et de l’entreprise elle-même. De cette façon, le management renforce le contrôle sur les employés en les contraignant à l’autorégulation : chacun se sent responsable de tous. Ce processus produit la fragmentation, cause aggravante de stress individuel. Il n’y a plus de collectivité pour diluer, absorber et gérer les tensions. Enfin, la pression sur les employés est encore accrue du fait que la rentabilité de l’entreprise, elle-même en concurrence sur son marché, détermine une autre part de leur rémunération variable.

En conclusion, il est bien évident que les entreprises doivent faire face à des conditions de concurrence difficiles, qui requièrent des stratégies adaptées. Toutefois, c’est aux responsables politiques et aux partenaires sociaux, tous conscients et soucieux de la primauté de la personne humaine, à tenter de concilier les nécessités de l’entreprise et la protection des conditions de vie et de travail du personnel.

source : Le Soir



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