vendredi 9 novembre 2007

Le monde est pavé de bonnes intentions ...


Hermann a appris à regarder avant de savoir dessiner, en observant les fesses des chevaux balancer sur le chemin de la ferme, dans les Ardennes belges. Doué d’un sens prodigieux de l’observation, ce maître réaliste a signé Bernard Prince, Comanche et Jugurtha dans le journal Tintin. Il se tourne ensuite vers des récits plus adultes aux héros ambigus et aux femmes farouches avec Jérémiah ou les Tours de Bois-Maury. En marge de ces séries grand public, il prend des risques graphiques et narratifs en osant des « one-shot » au décor plus politique : néocolonialisme diplomatique dans Missié Vandisandi, guerre ethnique avec Sarajevo- Tango. Son nouvel album, Afrika, s’aventure sur le terrain miné des trafics d’animaux, des catastrophes écologiques et de la corruption en Afrique. Un scénario sauvage, d’une actualité brutale.

Comment faites-vous pour aussi bien dessiner l’Afrique sans y avoir jamais mis le pied ? Il y a des choses qu’on a en soi, que l’on ressent profondément. J’avais des piles de documentation et de DVD sur la faune et les paysages africains. Mais je n’ai rien copié. Je veux éviter le dessin mou, hyper-léché, sans force graphique. Les photos peuvent servir à comprendre l’anatomie, le mouvement, à composer un décor mais il faut leur faire des infidélités pour ne pas rester prisonnier de leur côté savant. Le dessin doit sentir quelque chose…

Dario, le personnage principal d’« Afrika » est un ancien barbouze, reconverti dans la protection de la faune sauvage. C’est un homme rugueux. Il ne risque pas de faire peur au lecteur ? On crée un personnage et puis il vous échappe. Dario a un côté Clint Eastwood dans Dirty Harry. Il ne se fait aucune illusion sur les hommes, tout comme moi je m’en méfie. Je souhaite que la Terre aille mieux. Je ne suis ni antisocial ni violent mais il faut pouvoir arracher les pissenlits dans son jardin sans faire de diplomatie. Dario respecte la nature sans illusion : il sait que le lion bouffe la gazelle ! Et que l’homme, lui, est dangereux même quand il a le ventre plein.

Dario est accompagné par Charlotte, une jeune reporter collante, qui donne une image un peu gauche du journalisme. Elle reflète votre vision des médias ? Les médias montrent tant de choses horribles que cela nourrit le défaitisme chez les gens. Machiavel avait été le premier à souligner les dangers de la culture du désenchantement. Charlotte n’est tout simplement pas faite pour aller sur le terrain. Elle va découvrir que l’Afrique n’est pas fleur bleue. Elle est le pendant naïf de Dario, ce qui donne du ressort à mon histoire. Il ne faut pas regarder au-delà.

L’Afrique de Dario est victime des rivalités étrangères entre Russes, Occidentaux, Chinois. La raison d’État triomphe des principes démocratiques. La réalité d’« Afrika » est dure… L’Afrique n’en a pas fini avec les convoitises étrangères. Les Chinois viennent à peine de commencer ! Elle est aussi victime des rivalités claniques qui arrangent bien les intérêts des puissances étrangères. Pour en sortir, il faudrait une prise de conscience internationale partagée par tous les gouvernements de la planète et des dirigeants locaux soucieux de la population. Quand on voit ce qui se passe actuellement au Tchad ou en Libye, il semble que les dictateurs sont toujours fréquentables. Où sont la démocratie, le respect ? Dario sait qu’il n’échappera pas aux balles de la raison d’État. C’est ce qui explique sa rage. À la fin de l’album, il se révolte contre une société qui fait de l’argent avec la déforestation. Elle existe. J’ai juste changé son nom. Afrika est juste une plongée fascinante dans les turpitudes de l’humanité.

Propos recueillis par DANIEL COUVREUR




source : Le Soir

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